Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/468

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’enfonçant dans tous les golfes, ces caboteurs sont habitués à jeter l’ancre chaque soir. Leurs koangs ou étapes ont été fixés à l’avance ; ils ne les quittent qu’après avoir décidé l’appareillage d’un commun accord. Les jonques qui opinent pour le départ hissent une de leurs voiles, celles qui sont d’avis de rester au mouillage laissent toutes leurs voiles ferlées. Si, malgré le vœu de la minorité, le départ est résolu, la flottille tout entière se met en mouvement et cingle vers une nouvelle étape, semblable à ces longues files d’oiseaux voyageurs que l’on voit aux approches du printemps prendre leur vol vers le nord. Malgré tant de précautions, les pirates, qui ne cessent de rôder autour de ces convois, enlèvent souvent quelques-unes des brebis du troupeau. Les côtes du Che-kiang, au moment où nous les visitâmes, étaient plus particulièrement infestées par la piraterie. En vain le général tartare qui commandait à Ning-po les forces de terre et de mer, le mandarin Chan-lou, multipliait-il les croisières de tous les tchuens destinés à protéger les eaux extérieures[1], en vain la Gazette de Pe-king prodiguait-elle les récompenses et les encouragemens aux braves qui se distinguaient dans les combats dont l’archipel de Chou-san était chaque jour le théâtre : les pirates n’en étaient ni moins entreprenans ni moins nombreux, et les jonques chinoises n’osaient plus se montrer sur la côte. Cette situation menaçait de se prolonger, si des marins portugais, que la décadence commerciale de Macao laissait depuis plusieurs années sans emploi, n’eussent conçu un projet qui semble inspiré par les traditions du XVIe siècle. S’associant pour leur entreprise quelques matelots indigènes, ces aventuriers chargèrent de vieux canons de fonte le pont de leurs lorchas[2] réarmées à la hâte, et vinrent offrir aux jonques de Ning po et de Hang-tchou-fou une escorte plus sûre que celle de tous les tsang-ping[3]et de tous les fou-tsiang[4] du Céleste Empire. Les jonques se cotisèrent pour payer le prix stipulé par leurs protecteurs, et l’on vit, chose étrange ! d’immenses convois entrer dans le Yang-tse-kiang, doubler le promontoire du Shan-tong, et pénétrer jusque dans le golfe du Petche-ly sous la conduite de deux ou trois barques européennes. Ce fut le pavillon de dona Maria qui fit désormais la police sur les côtes du Che-kiang. Également redoutées des mandarins et des pirates, ces lorchas abusèrent quelquefois de la terreur qu’elles inspiraient ; leur intervention irrégulière n’en fut pas

  1. D’après le dernier relevé officiel présenté à l’empereur, la flotte de guerre du Che-kiang compte 315 navires à voiles et à rames, savoir : 10 kan-tsang-tchuen, 49 kwaï-tchuen, 139 tung-ngan-tchuen, 4 hou-tchuen, 24 pah-tsiang-siun, 30 mi-ting, 56 tian-tchuen, 1 yang-poh-tchuen, 2 pung-kwaï.
  2. Grandes chaloupes-canonnières construites et voilées comme les barques chinoises.
  3. Contre-amiraux.
  4. Chefs de division.