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le brouillard matinal qui couvrait les bords humides du Yang-tse-kiang, nous ouvrîmes de nouveau nos voiles à la brise. Le peu de rapidité de notre sillage, qui ne dépassait pas quatre ou cinq milles à l’heure, nous permit de faire éclairer notre route par une des embarcations de la corvette jusqu’au moment où les îles Sha-wei-shan et Gutzlaff se montrèrent à l’horizon. Nous eûmes dès-lors des amers certains pour nous conduire en dehors du fleuve, et nous franchîmes les derniers hauts-fonds du Yang-tse-kiang sans avoir rencontré moins de vingt-quatre pieds d’eau sur notre passage. Le soleil cependant allait bientôt disparaître sous l’horizon. Nous ne voulûmes point, à l’entrée de la nuit, nous engager au milieu de l’archipel de Chou-san, et nous laissâmes tomber l’ancre près de l’île Cutzlaf. Le lendemain, aux premiers rayons de l’aube, nous poursuivîmes notre route. La marée nous entraîna rapidement entre le groupe des îles Rugged et celui des îles Parker. À onze heures du soir, nous avions doublé les écueils qui entourent les îles Volcano, et, avant que l’obscurité fût complète, nous étions mouillés sous les hautes terres de, l’île Kin-tang, à deux milles environ des receiving-ships qui occupent la station d’opium de Lou-kong.

Les dernières bouffées du vent de nord nous avaient conduits à ce mouillage. Avec le jour, nous vîmes s’élever une brise d’est qui ne tarda point à fraîchir : c’était une circonstance favorable pour entrer dans le fleuve qui porte, sous les murs de Ning-po, le nom de Yung-kiang, et celui de Ta-hea quand, près de se jeter à la mer, il vient baigner les remparts de Chin-haë. Ce fleuve est moins profond que le Wampou ; l’accès en est aussi moins facile. Trois îlots granitiques se dressent presque en face de l’entrée, à moins d’un quart de mille de la côte. Deux de ces îlots sont si rapprochés l’un de l’autre, qu’ils semblent se confondre. Le troisième s’élève solitaire à une égale distance de ce premier groupe et de la péninsule escarpée que couronnent à la fois une citadelle et un temple. Trois passes distinctes sont donc ouvertes au navigateur qui se présente à l’embouchure du Yung-kiang. Les alluvions du fleuve ont presque comblé la passe occidentale, à peine praticable aujourd’hui pour les barques du Che-kiang. La profondeur des deux autres passages a été préservée par la violence des marées qui les creusent sans cesse. Ce n’est cependant qu’à la condition de se maintenir dans un chenal sinueux dont la largeur n’excède pas cent vingt mètres qu’un navire européen peut arriver sans encombre devant Chin-haë. Nous avions franchi les huit ou neuf milles qui nous séparaient du continent chinois ; nous avions dépassé l’île Square et l’écueil de la Blonde[1] ; nous donnions à pleines

  1. La plupart des dangers sous-marins sur les côtes de Chine ont conservé le nom de quelque navire anglais dont ils ont déchiré les flancs ou terminé la carrière.