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et cette remarque s’applique au livre entier de M. Simpson, — que, comme manuel d’études, comme auxiliaire d’un cours de littérature, on ne saurait lui demander plus qu’on n’y trouve.

Cecco d’Ascoli. (Francesco Staboli), brûlé vif à Florence pour avoir cru aux mauvais esprits, ou, suivant d’autres, pour avoir maltraité Dante dans ses Seste rime intitulées Acerba, Fazio degli Uberti et son Dittamondo, Francesco da Barberino et ses Documenti d’amore[1], Guittoncino di Pistoja, dont la destinée et les amours ressemblent si fort à la destinée, aux amours de Dante, et dont Pétrarque a déploré le trépas en si beaux vers, ont chacun leur médaillon dans cette galerie de portraits. Une fort grande toile, en revanche, y est réservée à l’amant de Laure. À la vérité, elle est bien moins destinée, au poète, au faiseur de sonnets, qu’à l’infatigable érudit, remaniant, perfectionnant, fixant l’idiome national, et faisant servir son ascendant littéraire aux desseins patriotiques dont la réalisation occupa sa vie. Florentin d’origine, né dans l’exil, élevé en France où il vit de près la papauté comme lui exilée et donnant le spectacle de la corruption la plus effrénée, Pétrarque n’en fut pas moins, par ses tendances toutes classiques, ramené au sentiment le plus vif de la suprématie romaine. Ce sentiment, froissé par l’invasion de 1333, où la noblesse française secondait l’ambition du roi de Bohème, gendre de Philippe de Valois, dessina et grandit la destinée de Pétrarque, jusque-là simplement poète et philologue. Son appel aux armes, bien qu’il eût le tort d’être rédigé en vers latins, trouva cependant de l’écho par-delà les Alpes. Après la mort de Jean XXII, en 1334, il secondait auprès de Benoît XII les instances des envoyés romains, suppliant le nouveau pontife de revenir dans la capitale des États de l’église ; mais ses instances demeurèrent vaines, et le poète n’eut plus qu’à maudire les tours superbes du palais qui s’élevait pour abriter définitivement sur la terre étrangère le trône pontifical :

Torri superbe al ciel nemiche.

De Rome encore, qu’il visita en 1337, le poète rappelait les papes dans cette grande cité où ils ne revinrent que bien plus tard, mais où Pétrarque devait retourner, en 1341, pour y recevoir un triomphe éclatant, renouvelé en son honneur après des siècles de désuétude[2]. Viva el poeta ! criait la foule, et Pétrarque répondait : Viva et popolo romano ! viva et senatore ! Dio la mantenga en libertade !

La liberté de Rome à cette époque ne méritait guère un pareil nom. En l’absence des pontifes, deux factions ou plutôt deux familles ennemies, tour à tour vaincues et victorieuses, y faisaient régner une perpétuelle anarchie. Dans toute l’Italie d’ailleurs sévissait la guerre civile, fomentée par les étrangers, et dont profitaient seuls les chefs de bandes, les grandes compagnies de condottieri. Il y a dans Pétrarque d’admirables lamentations sur cette grande et irrémédiable décadence du peuple-roi ; elles font comprendre l’enthousiasme dont il fut saisi, lorsqu’un homme parut qui semblait porter à son front l’auréole

  1. Douze chapitres ou livres de discussions philosophiques se cachent sous ce titre plein d’amorces. F. da Barberino a composé aussi un poème sur les femmes et leurs façons d’être, qui a été réimprimé en 1825 à Rome, chez Manzi.
  2. Aucun poète n’avait été couronné à Rome depuis le règne de Théodose.