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du gouvernement. Le ministère, interpellé une première fois, n’avait fait que des réponses évasives ; de là un projet d’adresse au roi. En attaquant le cabinet avec toute la vivacité du patriotisme blessé, le projet d’adresse s’appliquait à bien constater que le pays avait toujours marché d’accord avec la royauté dans la question constitutionnelle aussi bien que dans la question nationale. Les orateurs de la gauche comme ceux du centre ne se sont point écartés de cette pensée si catégoriquement exprimée dans l’adresse, et qui est la pensée du pays tout entier. Les ministres, combattus avec une grande supériorité par les principaux membres du parti national, ont été à peine défendus. Ils ont eux-mêmes refusé de s’expliquer sur la portée des concessions faites aux grandes puissances allemandes, sur l’organisation définitive de la monarchie et des duchés, prétextant les négociations entamées et se retranchant derrière l’inexorable nécessité qui pèse en ce moment sur le pays. S’ils ont été peu éloquens, les faits ont parlé pour eux. Sur la proposition de deux membres distingués du ministère précédent, MM. de Tillisch et de Bardenfleth, le projet d’adresse a été écarté par un ordre du jour motivé. Cet ordre du jour exprime toutefois avec franchise les anxiétés des populations danoises. S’il reconnaît les difficultés actuelles de la situation internationale, il signale aussi la douloureuse inquiétude que fait naître l’ordonnance royale du 28 janvier, relative à l’organisation de la monarchie sur l’ancienne base. Livré à ses seules forces, le Danemark ne peut cependant guère prétendre à sortir par une voie meilleure de la crise où l’a jeté l’action combinée de l’Autriche et de la Prusse.

Aux États-Unis, l’étoile de Kossuth s’est éclipsée. Les derniers restes de l’enthousiasme que sa personne inspirait aux Américains ont brillé dans les réceptions qui lui ont été faites à Harrisburg et à Pittsburg. Il parcourt mélancoliquement les états de l’ouest, sans y rencontrer l’élan et la générosité auxquels il s’attendait. L’emprunt hongrois ne donne pas, les nouvelles d’Europe ne sont pas favorables ; que faire cependant des mousquets, des armes, des selles commandés par lui avec une impardonnable légèreté, et pour le paiement desquels il comptait sur les dollars américains ? Personne n’a jamais été aussi mauvais prophète que Kossuth ; il n’a cessé, depuis le 2 décembre, d’annoncer aux Américains une explosion prochaine en Europe, à peu près comme les prophètes des sectes de l’Union annoncent la fin du monde pour tel jour, à telle heure. Victime et dupe de ses propres hallucinations, il a cru qu’il n’y avait pas de temps à perdre, et qu’il fallait s’équiper au plus vite et se tenir prêt à monter à cheval ; il a commandé à cet effet, pour des sommes considérables, des armes et des équipemens complets dont il se déclare aujourd’hui très embarrassé. Kossuth d’ailleurs a trouvé des concurrens en Amérique ; il avait compté sur les émigrés allemands qui occupent les états de l’ouest ; mais, long-temps avant lui, un autre révolutionnaire, le docteur Gottfried Kinkel, avait passé par là, et avait emporté la moisson de dollars ambitionnée par Kossuth. C’est vers Kinkel que se tournent de préférence les milliers de révolutionnaires allemands qui se sont réfugiés dans l’Union. Ils trouvent dans cet homme fiévreux, atrabilaire, dans ce logicien implacable, dans ce prédicateur de vengeances et cet apôtre de l’anarchie, l’écho de leurs propres sentimens bien plus que dans l’éloquence orientale et les vagues élans du brillant dictateur hongrois.