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une catastrophe célèbre en France, l’incendie de la légation d’Autriche le jour où le prince son père donnait un bal à l’occasion du : mariage de Napoléon avec Marie-Louise. Depuis, le prince Félix avait partagé son temps entre les camps, les plaisirs et la diplomatie. Les révolutions de 1848 le trouvèrent ambassadeur à Naples, et, en présence de la conflagration générale, il ne songea plus qu’à faire usage de son épée. Il prit part à la guerre de Lombardie, et il y fut blessé au siège de Vicence. C’est dans ces opérations militaires que la confiance de l’empereur était venue le chercher pour le placer à la tête du conseil. On sait ce qu’il a fait depuis ce moment pour raffermir l’Autriche ébranlée, pour lui donner une organisation nouvelle, et pour relever son ascendant en Allemagne.

En Piémont, les difficultés qui s’étaient élevées pour le cabinet ne semblent point s’aplanir ; elles s’aggravent bien plutôt au contraire par leur durée même. Le sénat a voté la loi sur les fortifications de Casal, à quatre voix de majorité seulement ; c’est deux de plus, il est vrai, qu’à la chambre des députés. Comme le Piémont est un pays constitutionnel, se gouvernant par la loi des majorités, force est bien d’avouer qu’on ne vit pas avec des appoints de cette sorte, et qu’on n’élude une crise que pour tomber dans une crise nouvelle. Ce qu’il y a eu de remarquable dans la discussion du sénat piémontais, c’est la netteté avec laquelle la question politique a été posée. C’est un ancien ministre sarde à Paris, M. le comte Gallina, qui s’est chargé d’interpeller le cabinet sur sa politique et sur ses évolutions récentes, et c’est le président du conseil lui-même qui a répondu. Le discours de M. d’Azeglio est assurément spirituel et éloquent : le ministre piémontais n’a point eu de peine à démontrer que lui, qui avait signé le traité de paix avec l’Autriche, pas plus que le général La Marmora, qui avait étouffé la république à Gênes en 1849, n’étaient de grands révolutionnaires ; mais au fond ce n’était point ce dont il s’agissait. La véritable question était de savoir quelle était la situation réelle du ministère dans ses rapports avec les diverses fractions de l’opinion publique, au milieu du mouvement des partis. Il est résulté des explications de M. d’Azeglio, ce nous semble, que le cabinet appliquait de son mieux la théorie de l’équilibre et du juste milieu, se faisant tantôt conservateur, tantôt libéral, selon les circonstances. Cependant, qu’on le remarque, le juste-milieu n’est un système qu’à la condition de dominer tous les partis ; ici, c’est le contraire : c’est le cabinet piémontais qui est successivement à la merci des partis.

Voici déjà quelque temps que nous considérons avec une curiosité mêlée d’intérêt ce petit pays, qui a fait face avec courage à de véritables malheurs, et qui, après une assez longue période de stabilité et de vie normale, semble sur le point d’aboutir, par des crises ministérielles, à des crises plus graves encore. Un des problèmes que pourrait très utilement se poser le cabinet de Turin, c’est comment il se fait qu’après avoir eu, pendant quatre années, un appui presque unanime dans le parlement, il en vienne aujourd’hui à disputer sa vie à quelques voix de majorité. Cela peut tenir sans doute à des circonstances générales dont il n’est pas le maître ; mais n’y a-t-il point aussi à faire la part du cabinet lui-même et des hommes qui le composent ? Il ne manque point, peut-être de personnes qui remarquent que M. d’Azeglio dirige d’une main d’artiste et avec un moral affaibli par la maladie les affaires de l’état.