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d’éclat. On distingue parfois dans ce qu’écrit M. Lemoinne comme un reflet anglais d’une étrangeté qui n’est point sans grace. Faut-il croire l’auteur des Études critiques et biographiques ? À ses yeux, la tribune politique est morte, complètement morte ; elle s’est tuée elle-même pour avoir voulu tout absorber, depuis le pouvoir du roi jusqu’au pouvoir du journal, et c’est la presse désormais qui est appelée à recueillir sa succession. La vue assurément ne manque point de nouveauté ; c’est une application un peu inattendue du mot autrefois fameux reproduit par l’auteur : « Ceci tuera cela ! » Nous ne garantirions pas que M. John Lemoinne n’ait voulu tirer quelque spirituelle vengeance des mauvais vouloirs de la tribune ou de trop longues assiduités dans les séances parlementaires. S’il peut être périlleux dans des temps comme les nôtres d’affirmer la mort définitive de quoi que ce soit, il peut bien y avoir aussi pour le moment quelque illusion à se croire assez vivant soi-même pour sceller la tombe des autres. Ce serait un paradoxe qui pourrait fournir matière à un assez curieux dialogue à la mode de Lucien entre la tribune et la presse. Toujours est-il que la presse ne pourra avoir de plus spirituel organe que M. Lemoinne dans ce dialogue. Les Études critiques sont une série de portraits, d’ébauches, d’esquisses sans lien, dira-t-on ; elles ne forment point un livre. C’est au contraire le livre de notre temps où se reflète quelque chose de la vie quotidienne, du mouvement social avec ses émotions successives et ses pertes soudaines universellement senties. Pensez-vous, en effet, que dans cette vie sociale ce ne soient pas à divers degrés des événemens que ces disparitions subites que l’auteur des Études marque au passage, — celles de Robert Peel ou de Chateaubriand, de Mme la duchesse d’Angoulême ou de Mme Récamier ? Là où il n’y a point l’intérêt politique, il y a l’intérêt mondain.

Oui, assurément, c’est un événement qui a sa place dans l’histoire de la société française quand vient à s’éteindre une personne qui a brillé par l’intelligence ou par la grace, qui a exercé quelque influence autour d’elle ; c’est un vide qui se fait. Mme la comtesse Merlin laisse aujourd’hui un de ces vides en mourant. Elle était, elle aussi, un des types du monde de l’esprit et de l’élégance. Née à la Havane, elle s’était depuis long-temps naturalisée dans la vie parisienne ; elle avait fait de son salon un asile où elle régnait par la supériorité et l’originalité de sa nature de créole. Mme Merlin avait même écrit quelques ouvrages, dont un sur la Havane, — d’une observation fine, d’une touche vive et pittoresque. L’ame ardente de la Havanaise s’unissait en elle à l’esprit d’une Française, et ce mélange était son originalité même. — Ce qui est encore un événement pour la société française, comme pour la société européenne tout entière, c’est quand disparaît tout à coup et à l’improviste de la scène un homme qui s’était fait une grande place dans les agitations contemporaines, comme le prince Félix de Schwarzenberg. L’ancien président du conseil d’Autriche, on le sait, s’était élevé au premier rang parmi les hommes d’état de l’Europe dans ces dernières années ; il était un de ceux qui avaient le plus de goût pour la France et qui suivaient le plus attentivement les soubresauts de notre histoire. Ce qu’on peut dire de lui, c’est que c’était un homme dans toute l’acception du mot. Il tenait au monde le plus éminent, à la diplomatie, à l’armée, et nul mieux que lui ne savait concilier toutes ces habitudes mondaines, militaires et diplomatiques. Son enfance avait été marquée par