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d’un enfant, à surexciter l’une d’elles au détriment des autres, à claquemurer dès le premier âge une jeune nature dans une étude spéciale. — Un décret sur l’instruction publique, quelques projets entrevus, une suspension législative de quelques jours, — voici donc une période peu abondante en actes publics, et peut-être est-ce encore un effet d’habitudes anciennes de paraître s’étonner de ce calme subit dans les régions politiques officielles.

Toujours est-il que sous cette vie officielle qui se traduit en lois, en décrets ou en procès-verbaux, sous cette histoire contemporaine que le Moniteur écrit avec une invariable et docile précision, il y a ce mouvement vague, indistinct et réel pourtant qui s’appelle le mouvement social, et qui a ses caractères, ses tendances, ses événemens propres. Rien n’est plus obscur à considérer peut-être que les peuples emportés dans des crises subites, et au fond rien n’est plus curieux à analyser. L’indispensable et le difficile pour une société comme la société française, dans les phases de soulagement, de surprise et d’indécision qu’elle traverse, c’est de s’occuper, de s’émouvoir, de se créer des sujets d’intérêt, de continuer, en un mot, à être ce qu’elle a toujours été, — un monde brillant et facile, où la conversation supplée à la tribune, où les pertes sociales sont vivement senties, où l’intelligence garde son ascendant, et où les petites choses elles-mêmes ont leur place. Parmi ces petites choses, ne faut-il pas placer les bruits qui se succèdent, se propagent et s’enrichissent naturellement en route de toute sorte de commentaires, comme si ce n’était pas toujours assez de la réalité ? Il en était déjà ainsi dans un temps où la politique se faisait un peu trop en plein jour, nous le croyons ; qu’est-ce donc lorsque le public n’est pas dans la confidence de tous les secrets ? Il en résulte que le public fait lui-même sa politique avec des rumeurs et des nouvelles qui commencent par faire le tour des correspondances européennes. On s’entretient trois jours durant des entrevues princières qui n’ont point eu lieu ; on combine toutes les conséquences qui s’en déduisent ; on travaille de son plus beau zèle et à son insu aux résultats qu’on aime le moins. Ou bien c’est un incident diplomatique qui atteint à des proportions singulières. Tel est le voyage de M. le prince de Canino à Civita-Vecchia. Bien des versions ont été faites sur ce voyage ; la seule que nous croyons vraie, c’est que l’ancien président de l’assemblée constituante romaine n’avait d’autre mission que celle qu’il s’était donnée à lui-même au nom de ses affaires personnelles. La preuve en est qu’au même instant M. le président de la république et un envoyé du souverain pontife échangeaient à Paris des félicitations, et que M. le prince de Canino reprenait peu après le paquebot en simple particulier, sans avoir mis le pied à Rome, dont la ferme volonté du pape lui avait interdit l’accès. Combien d’autres bruits encore de nature à alimenter la curiosité publique ! Tout cela, c’est le besoin de vivre, d’agir, propre à une société qui a tant d’autres intérêts puissans, tant d’autres élémens d’activité brillante, et sur laquelle l’intelligence, sous ses formes diverses, ne cesse heureusement d’exercer un souverain attrait.

Offrez en effet à cette société un peu incertaine une réunion choisie où elle soit sûre d’entendre quelque accent d’éloquence, elle ne manquera point à l’appel. Il semble que l’Institut recueille aujourd’hui à quelques égards l’héritage de la tribune politique. Il y a quelque temps, c’était l’Académie française ; l’autre