Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/371

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moitié. Leur bonheur ne nous regarde plus ; mais, sans curiosité impertinente, on peut se demander ce qu’il y a d’enseignement philosophique, aux yeux du romancier, dans cette aventure bourgeoise dont ses combinaisons hypothétiques n’ont pas, tant s’en faut, déguisé la vulgarité. Il se chargera lui-même de nous l’apprendre : « Au sein de l’apparente confusion de notre univers mystérieux, dit-il, les individus sont étroitement adaptés à un système, celui-ci à un autre, ce dernier à un tout quelconque, si bien qu’en se déclassant un seul instant, un homme s’expose à ne plus retrouver sa place dans le mécanisme compliqué auquel il appartenait. Pour avoir voulu quitter sa femme pendant huit jours, Wakefield s’était mis en quelque sorte au ban de l’univers, et ce pouvait être à jamais. » Qui se serait attendu à trouver une ligne si solennelle au bout d’un conte en l’air, presque bouffon ? Personne à coup sûr, et le narrateur tout aussi peu qu’un autre ; mais on n’a pas été l’ami de Waldo Emerson sans garder quelque reflet de sa prestigieuse facilité à grandir les menus incidens de la vie, à réduire les grands faits de l’humanité, à intervertir leur importance relative, à bouleverser enfin les idées reçues par de nouveaux modes d’appréciation, et en vertu d’une méthode critique complètement indépendante, absolument individuelle.

C’est par le renouvellement de ce que nous appellerions volontiers le procédé métaphysique, c’est par l’originalité de certains aperçus, plus ou moins contestables d’ailleurs, qu’il faut expliquer l’intérêt de plusieurs chapitres éparpillés parmi les contes de Hawthorne, et qui sont de simples essais, des causeries sur un sujet donné. Le Dimanche au logis, la Vision de la fontaine, les Vues d’un clocher, les Bourgeons et chants d’oiseaux, les Flocons de neige appartiennent à cette catégorie où il faut noter plus spécialement deux chapitres qui paraissent avoir contribué plus que les autres à populariser le nom de Hawthorne. Dans l’un, il met en scène et fait jaser une fontaine publique. Cette traduction libre du murmure de l’eau est pleine de motifs charmans et poétiques. Aussi est-elle devenue un des morceaux ; pour ainsi dire, classiques de la littérature américaine. Le Rill from the Town-Pump est connu aux États-Unis comme chez nous les meilleures esquisses de M. Mérimée. L’autre essai, qu’on retrouve presque aussi souvent cité dans les Elegant Extracts américains, est intitulé the Celestial Rail-road. Allusion continuelle au roman-parabole de John Bunyan (Pilgrim’s Progress), cette satire de la dévotion aisée qu’on a substituée de nos jours aux pratiques sévères du christianisme primitif n’est qu’à demi intelligible pour un lecteur français, et n’a guère d’intérêt pour des chrétiens attiédis. La Procession de la vie, autre vision philosophique de Hawthorne, va mieux à notre tempérament et ne manque ni de vérité ni de grandeur. De sa manse aux murailles moussues,