Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/370

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il faut se décider à retourner sous le joug, les hésitations reviennent. Puis la vanité s’en mêle, puis la paresse, puis la curiosité qui s’attache à l’issue d’une aussi étrange situation. L’habitude enfin complique les choses, car Wakefield bien souvent, sorti pour prendre l’air, se retrouve, sans savoir comment, dans son ancien quartier et presqu’à sa porte. Et le hasard donc ? Un jour, dans une foule occasionnée par un embarras de voitures, ne se retrouve-t-il pas nez à nez avec mistress Wakefield ! Quelle terreur ce jour-là ! quelle fuite précipitée ! Comme il rentra chez lui au galop, monta ses escaliers quatre à quatre et se jeta sur son lit tout habillé, ramenant les couvertures sur sa tête !… Et cependant mistress Wakefield, son livre d’heures à la main, avait paisiblement continué sa route jusqu’au temple. Seulement, arrivée là, elle s’était arrêtée sur les degrés, regardant derrière elle si par hasard cet inconnu, dont les traits lui avaient rappelé son mari, n’aurait pas imaginé de la suivre.

Nous ne pouvons ici, comme Hawthorne le fait dans sa nouvelle, fouiller les minuties de ce caractère et les détails de cette situation ; mais on a déjà compris en quoi consiste le travail du romancier, et l’espèce de tour de force qu’il accomplit en intéressant par le seul charme des commentaires à un texte si aride, si dénué d’attrait. La manière dont il ramène Wakefield dans son domicile au bout des vingt ans écoulés n’est pas le moins heureux trait du récit.


« Un soir de cette vingtième année, Wakefield était revenu errer autour de cette maison, que souvent encore il lui arrivait d’appeler ma maison. C’était une humide nuit d’automne, et sur les pavés, de temps à autre, bruissaient de fréquentes ondées, — de ces ondées subites qui commencent et prennent fin avant qu’un homme ait le temps d’ouvrir son parapluie. Arrêté près de cette demeure, Wakefield découvre au second étage, à travers la fenêtre du salon, une rouge lueur qui va et vient, croît, diminue et renaît par instans : — celle d’un feu comfortable. Au plafond se dessine l’ombre légèrement grotesque de la bonne mistress Wakefield : les ailes du bonnet, le nez et le menton qui se rejoignent presque, et la taille épaissie qu’un raccourci méchant grossit encore, dessinent en silhouette une admirable caricature que les caprices mouvans de la flamme semblent faire vivre et même danser plus gaiement qu’il ne conviendrait à une veuve de cet âge. À ce moment précis survient une averse que le vent impitoyable chasse contre le visage et jusque dans la poitrine de Wakefield. Le voilà transi et maudissant les froids d’automne. Restera-t-il là, frissonnant et trempé, lorsque sa cheminée flambe d’un si bon feu, lorsque sa femme est prête, s’il reparaît, à lui apporter sa grande redingote grise et les pantoufles doublées de flanelle qu’elle lui a certainement conservées dans quelque recoin du petit cabinet à droite, derrière l’alcôve ? Allons donc, ce serait une duperie, et Wakefield n’est pas si bête. »


Nous le laisserons paisiblement monter chez lui avec le même sourire narquois qu’il avait aux lèvres le jour où il attrapa si bien sa fidèle