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touche du peintre est trop souvent empreinte de timidité. L’homme le plus gai peut difficilement sourire aux traits les plus largement égayés, la femme la plus susceptible d’émotions tendres sentir ses yeux se mouiller devant ce qu’il y a de plus pathétique. Ce livre, si vous voulez y voir quelque chose, doit être lu dans l’atmosphère à la fois claire et brune d’un crépuscule serein, — le même au sein duquel il fut écrit. Que si vous l’ouvrez au grand soleil, il risquera fort de ressembler pour vous à un cahier de pages blanches. »

Après cette critique loyale de ses propres œuvres, il leur reconnaît un mérite qu’elles ont en effet, et qui, vu leur origine, l’isolement où elles sont écloses, aurait fort bien pu leur manquer : c’est celui de la clarté. Jamais, affectant la profondeur, Hawthorne ne risque de n’être pas compris : il est mystérieux sans être obscur ; sa pensée se voile, elle ne se dérobe point, et, comme il le dit encore en toute justice : — « Ces esquisses ne sont pas l’entretien profond d’un solitaire avec sa propre pensée et son propre cœur (ce qui leur eût probablement donné plus de mérite et une valeur plus durable) ; ce sont ses efforts, ses efforts souvent malheureux, pour sortir de sa solitude et se mettre en rapports avec le monde extérieur. »

Nous touchons au point décisif de cette physionomie littéraire que nous nous sommes appliqué à reproduire bien exactement, telle que nous l’avons entrevue : Hawthorne est un rêveur et un observateur. Sa nature morale est réfléchie, méditative, généralisatrice ; ses impressions physiques sont vives, et donnent une grande importance aux menus détails des incidens qui le frappent, des scènes qu’il traverse, des individus qu’il rencontre, ou avec lesquels la vie le met en contact. Sa pensée s’empare avec avidité de circonstances qui pour tout autre passeraient inaperçues, elle s’assimile ces circonstances, leur attribue, leur communique un sens moral, une portée philosophique dont elle seule doit avoir l’honneur ou garder la responsabilité ; en se les assimilant, elle les transforme, et les plie à ses besoins ; elle en fait, comme Hawthorne le dit plus haut, a le vêtement de chair et de sang » dont ne pouvaient se passer certaines thèses, certains théorèmes, que le solitaire voulait lancer par le monde : — et de ce mélange, tantôt heureux, tantôt malheureux, naissent des récits plus ou moins intéressans, qui participent de la double source qui les a fournis, moitié rêves, moitié réalités, vraies chimères unissant au corps de la chèvre le buste et la crinière du lion.

Vous rencontreriez dans un wagon, à la promenade, en soirée, une jeune et belle femme, légèrement défigurée par un signe de naissance, — l’empreinte microscopique d’une main sanglante, à peine visible sur le doux incarnat de sa joue en fleur : — il n’y aurait point là, selon toute apparence, de quoi vous préoccuper beaucoup. Dans un pays comme l’Amérique, où la liberté individuelle est aussi largement pratique