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talent incontestable dans le choix des couleurs vagues, des harmonies mystérieuses, des formes entrevues, des intuitions étranges qui lui ont permis de raffermir cette trame fatiguée, d’y broder des figures nouvelles, d’y marier aux prosaïques détails de la vie contemporaine les teintes poétiques du passé.

Un lecteur intelligent, au début de ce livre, est promptement averti de n’y chercher que ce qu’on y trouve, non la curiosité du drame, mais le charme puissant du détail, le sentiment délicat des rapports du monde extérieur avec cet autre monde qui vit au dedans de nous. À partir de ce moment, il est dans la pleine et entière puissance d’une œuvre d’art laborieusement et savamment accomplie. Il admirera dans l’intensité graduelle des impressions, ménagées au début, une progression constante. Il sentira combien le contraste des formes un peu railleuses du romancier moderne ajoute aux effets de la fantasmagorie dont il prétend vous entourer peu à peu. Il reconnaîtra surtout l’écrivain d’élite à des personnages vraiment trouvés, dont le type local, l’individualité bien accusée éclot pour la première fois dans le monde de la fiction. Il le reconnaîtra dans cette figure d’Hepzibah Pyncheon, la vieille demoiselle de haut lignage, que la pauvreté réduit à ouvrir une boutique de mercerie, et dont les souffrances morales, au sein de cette position déchue, mettent en éveil, autant que la tragédie la plus poignante, nos mélancoliques sympathies. Il le reconnaîtra également dans l’analyse d’une folie étrange, celle du frère d’Hepzibah, né avec tous les instincts du sensualisme le plus raffiné, et qui a vu, victime d’une machination infernale, sa jeunesse s’écouler dans un cachot, où sa raison est restée. Il le reconnaîtra surtout à ces finesses d’exécution, à cette ténuité de faire, que Hawthorne unit à une rare ampleur de dessin, à une étonnante liberté dans la disposition des groupes, des lumières et des couleurs. Ses instincts de philosophe et de poète, car il est l’un et l’autre très incontestablement, sont toujours assez prédominans pour le maintenir à une certaine hauteur, et le prémunissent contre les minuties bavardes, les inutilités prolixes du roman moderne.

Hawthorne a dit lui-même de ses contes avec une rare et louable exagération de modestie[1] :

« Ils ont la teinte pâle des fleurs épanouies à l’ombre, dans une retraite trop profonde, la faible chaleur d’une pensée habituée aux longues méditations et qui attiédit à peine le sentiment et la couleur de chaque esquisse ; au lieu de passion, je ne sais quelle vague sensibilité. Et lors même qu’ils semblent offrir la peinture de la vie positive, nous y retrouvons l’allégorie si froidement incarnée, qu’elle donne le frisson au lecteur lorsque son esprit la perçoit. Soit qu’il manque de pouvoir plastique, soit par l’effet d’une insurmontable réserve, la

  1. Préface des Twice told Tales.