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dans son linceul, aux pieds de l’homme qu’elle avait aimé. En effet, après tant d’épreuves vaillamment supportées, son cœur n’a pu endurer plus long-temps cette agonie dont la fin n’arrivait pas…

N’y a-t-il pas dans le simple tableau dont nous avons cherché ici à indiquer les grandes lignes un noble cachet de sévère poésie, une conception assez haute, une belle et calme ordonnance, sans parler de l’idée philosophique à laquelle il sert d’expression, et qui n’est point d’un ordre vulgaire ? Une pensée analogue, mais plus osée encore, a dicté à Hawthorne une de ses plus importantes compositions, le roman intitulé la Lettre rouge. Très fantastique dans sa forme, très sérieux par le fond, ce récit touche au plus vif de ce grand problème du mariage, et le traite avec une liberté de pensée très peu familière aux écrivains anglo-américains. L’immense popularité de ce livre par-delà l’Atlantique et chez nos voisins d’outre-Manche est un véritable phénomène littéraire, un signe du temps. Les anathèmes lancés naguère contre Lélia par le chœur des Revues et Magazines britanniques ne nous avaient pas absolument préparés à comprendre par quel miracle un roman tout aussi hardi, et plus franchement hardi que celui de George Sand, a pu recevoir un accueil si différent, conquérir tant de suffrages, rencontrer si peu de détracteurs. Il est vrai que, si quelqu’un a le droit de se déjuger ici-bas, c’est le public. Flat spiritus ubi vult. Ainsi de l’opinion, ce souffle tout-puissant : son inconstance est le privilège de son infaillibilité.

Avec la Lettre rouge, Hawthorne ne compte, dans son œuvre fractionnée, qu’un autre roman de quelque étendue. La Maison aux sept pignons (the House with the seven gables) est, à notre avis, sinon le meilleur ouvrage du romancier américain, celui du moins où il a le plus fait usage de ce qui constitue son originalité propre, le don d’agir très puissamment par le prestige de son imagination sur l’imagination de ses lecteurs. L’histoire qu’il raconte n’a qu’un fond rebattu entre tous ce sont les annales de deux familles ennemies ; c’est un document perdu à la possession duquel est attaché le gain d’une immense fortune ; c’est une fatalité héréditaire qui met sans cesse aux prises, pendant quatre ou cinq générations, les représentans de deux races ; c’est une maison peuplée de souvenirs tragiques ; c’est un vieux portrait encastré dans un vieux lambris et qu’un testament bizarre y cloue à jamais. Ce portrait se trouve mêlé à l’action, où il joue le rôle réservé aux fantômes avant l’invention de la peinture à l’huile : c’est lui qui cache le document perdu ; c’est lui qui suspend et dénoue la chaîne des péripéties. Bref, il y a là tous les élémens usés des contes de revenans, comme Walter Scott, Lewis, Mme Radcliffe et Washington Irving, sans parler de Maturin, de Hoffmann et de bien d’autres encore, en ont tant écrit. Mais, si le fond du récit est suranné, Hawthorne a déployé un