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chaque jour. M. Hoffmann de Fallersleben dans le genre léger, M. Herwegh dans le mode grave, semblaient devenus les maîtres suprêmes de la muse germanique. C’est alors que parurent les Poésies nouvelles de M. Henri Heine.

Le livre s’ouvre par un recueil de strophes d’une pureté et d’une délicatesse incomparables. Sous le titre de Nouveau Printemps (Neuer Frühling), l’auteur donne une suite à ces cycles élégiaques, Junge Leiden, Intermezzo, Heimkehr, dont la grace parfumait le Livre des Chants. Puis ce sont maintes pièces vives, dégagées, fantasques, les unes beaucoup trop inspirées de la légèreté parisienne, les autres pleines de hardiesse et d’éclat. Enfin, après cette ouverture bizarre où se mêlent tous les tons, commence l’audacieuse symphonie poétique et politique intitulée l’Allemagne, conte d’hiver. L’Allemagne est le pendant d’Atta-Troll. Atta-Troll était l’œuvre d’un Arioste du Nord toujours prêt à dissimuler les hardiesses de sa pensée sous les voiles élégans du symbole ; l’Allemagne n’a ni symboles ni voiles, c’est un pamphlet où l’audace va le front levé. Atta-Troll brillait de tout l’éclat du midi ; l’Allemagne nous transporte au milieu des brumes. Le premier était le Songe d’une Nuit d’été ; le second est intitulé Conte d’hiver ; l’antithèse est complète. M. Henri Heine va faire dans sa patrie un voyage de quelques semaines, et de la frontière à Hambourg, quoique le chemin ne soit pas long, les occasions de raillerie ne lui manqueront pas. La douane prussienne, la cathédrale de Cologne, le vieux Rhin chanté d’un ton arrogant par le greffier Becker et si vivement revendiqué par M. Alfred de Musset, les auberges de Minden, la principauté de Buckebourg, la forêt de Teutobourg et la statue d’Arminius, le mont Kyffhaeuser et la caverne de Frédéric Barberousse, Hambourg enfin, voilà la scène variée où se déploie la plus hardie et la plus étourdissante des satires L’auteur la termine par des bouffonneries que n’eût pas désavouées Rabelais, et par des remontrances au roi de Prusse dont la forme hautaine rappelle les invectives de Dante. Il a voulu traiter à son point de vue la poésie politique ; du premier coup il rejette dans l’ombre, et par l’audace de sa pensée et par la dextérité de son art, tous les rimeurs qui se croyaient des maîtres. Mais l’Allemagne n’est pas seulement le poème d’une opposition turbulente et sarcastique ; M. Heine s’y joue de toutes choses et de lui-même. Ces démocrates avec qui il semble faire alliance, il les couvre de ridicule à l’heure même où il leur tend la main. Les libéraux ne sont pas moins sacrifiés que les piétistes ; le parti national est aussi rudement maltraité que le roi Frédéric-Guillaume IV. L’auteur trouve même le moyen d’envelopper tout le passé dans cette diabolique caricature du présent ; avec quelle verve il bafoue l’Allemagne entière dans la caverne de Barberousse et sous les chênes d’Arminius ! C’est toujours enfin l’incorrigible