Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/355

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le goût inné du bien, l’étude et la pratique d’une philosophie largement spéculative, le commerce fréquent des métaphysiciens et des poètes, ont graduellement élevée et mûrie. Hawthorne ne conte point pour conter, mais pour donner un corps à des idées utiles, pour les populariser, les faire pénétrer dans les intelligences distraites ou rebelles. Ses récits ont la forme attrayante et l’intérêt du conte le mieux fait. Creusez cependant, et vous arrivez à l’apologue, à la vérité figurée, au drame symbolique, rempli d’enseignemens, mais rempli d’émotions. Hawthorne est un prédicateur comme il en faudrait un à nos tempéramens légers, à notre attention si promptement lassée, à nos préoccupations futiles, à notre aversion pour les choses graves. Point d’austères dehors ni de sévérité guindée ; tout au contraire, une causerie insinuante, agréable, piquante même au besoin, une raillerie inoffensive et tempérée, un grand bonheur d’expressions pittoresques, l’art d’éveiller la curiosité, de la tenir en haleine, l’art plus grand de troubler l’imagination, de l’arracher à ses habitudes quotidiennes, de lui faire prendre son vol le plus lointain, de l’entraîner au pays des chimères.

Hawthorne a fait pour les enfans des contes terribles dont nous redouterions l’effet, ayant expérimenté la puissance de cette plume féconde en prestiges : en revanche, nous ne connaissons pas d’allégories enfantines qui vaillent son Image de Neige. — Par un après-midi glacial, deux beaux enfans, frère et sueur, Peony et Violet, sortent du salon maternel, bien emmitouflés, gantés, cravatés, et vont jouer dans le jardin ; tapissé de neige neuve ; petit jardin de marchand, séparé de la rue par une barrière blanche et garni pour le moment d’urne demi-douzaine d’arbrisseaux effeuillés. Leur mère, assise derrière la croisée, a l’œil sur eux, tout en donnant ses soins à des vêtemens neufs qu’elle coud pour ces chers marmots. Livrés à eux-mêmes et cherchant un jeu, qu’imaginent-ils ? Violet propose à son frère de travailler avec elle à se faire une belle petite sœur de neige. Peony accepte. Il apporte les matériaux, et Violet dispose peu à peu les formes de sa statue. Bloc d’abord ridicule, cette image se dégrossit peu à peu sous les mains agiles des sculpteurs improvisés, et leur mère, tout-à-fait surprise, mais ravie au fond de les voir réussir à ce point, s’applaudit intérieurement de leur reconnaître des dispositions si remarquables pour les beaux-arts. Ne pouvant d’ailleurs s’expliquer autrement la beauté de l’image qui naît sous leurs mains, elle se demande si, par hasard, les anges gardiens de Peony et de Violet ne seraient pas descendus de là-haut pour s’ébattre avec eux, complices et collaborateurs invisibles. L’image cependant est de plus en plus complète. Une poignée de neige, jetée comme par hasard, donne à sa chevelure le dernier coup de ciseau. Deux menus glaçons étincellent sous les paupières entr’ouvertes. Bref,