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du moins à le penser, — le plus agréable dans la vie d’un homme. Néanmoins on peut profiter de cet accident comme de tout autre, si seulement on sait s’en consoler et y chercher remède, etc.[1]. »


Ces lignes, qui ont le mérite de jeter une lumière assez nouvelle sur un des côtés de la vie politique aux États-Unis, donnent en même temps une idée fort juste de l’écrivain qui les a tracées, de sa bonhomie insouciante, de sa tiédeur philosophique alliée néanmoins à une conviction bien assise, de cette noblesse d’ame qu’on voudrait toujours croire l’apanage de la supériorité intellectuelle. Voilà bien l’homme d’esprit et de cœur que les circonstances ont poussé dans la triste mêlée des intérêts matériels et des combats politiques. Il y a porté son calme, sa raison, sa générosité habituelle. Aucun fol enivrement, aucun instinct cruel ne l’ont fait dévier. Dans son humble sphère, investi d’un certain pouvoir, il en a usé avec des ménagemens infinis, une rare indulgence ; — il a plus d’une fois regretté l’indépendance de ses heures et de ses pensées ; — il a craint l’abrutissement d’une tâche toujours la même, et l’influence énervante d’un bien-être assuré, prix d’une besogne machinale. Ses ennemis l’emportent et vont le frapper, lui, pauvre soldat inconnu, dans l’obscurité qui devait le sauver : eh bien ! il tombe en homme de cœur, le sourire aux lèvres, plaignant ces vainqueurs fiévreux plus qu’il ne se plaint lui-même, et avec la grace classique du gladiateur immolé. Comment lui refuser sympathie et respect ?

Les journaux américains firent quelque bruit de cette brutale destitution. Hawthorne, qui connaissait la presse, et qui n’a jamais courtisé cette bruyante complice de fausses réputations, ne l’en remercie pas très chaudement :


« Les journaux s’étaient emparés de mon affaire, dit-il, et, pendant une semaine ou deux, me firent caracoler dans leur lice à colonnes, tout décapité que j’étais, comme le cavalier sans tête de Washington Irwing, spectre hagard et fort avide de sépulture, ainsi que devrait l’être tout homme politiquement défunt. Mais c’est assez parler de moi au figuré. En réalité, j’étais un être bien vivant, la tête solidement placée sur mes épaules, et arrivé à cette conclusion comfortable que tout devait être pour le mieux dans ma destitution providentielle. Cet optimiste bien avisé employa quelques capitaux disponibles à une acquisition d’encre, de papier et de plumes Perry ; if rouvrit une écritoire fermée depuis long-temps, et se retrouva, comme devant, homme de lettres. »


Si on a bien voulu prêter quelque attention à ces causeries, on n’a pas seulement les détails intimes d’une existence rêveuse, mais aussi, et ce qui importe davantage, les procédés de cette pensée studieuse et paisible, de cette observation sereine et profonde, que l’amour de la solitude,

  1. The Scarlet Letter, préface.