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des lettres du comte Trechi, si connu dans la bonne compagnie de Paris et de Milan, lut Trucchi au lieu de Trechi, ce qui était fort naturel à quelqu’un qui lit casalibus pour canalibus. M. Libri, qui ne connaissait que le libraire Charon, entra en négociation avec lui, tournant le coin de rue all’ largo, à la manière italienne, et d’abord lui compta 900 francs sur l’achat futur de ses autographes, en prenant soin de faire mentionner sur le reçu qu’il y avait promesse de vente. Puis, ayant gagné sa confiance par cette façon d’agir, il l’amena peu à peu à lui céder 316 lettres au prix de 2,400 francs, et ce par acte notarié, rédigé de telle sorte que le vendeur, en le signant, reconnaissait qu’il avait déjà reçu d’Italie force pièces de même nature et qu’il en attendait d’autres encore, enfin que, pour celles-là, il donnerait la préférence à M. Libri. L’acte fut encore signé par sept témoins, parmi lesquels je vois les noms du prince della Cisterna, de M. Letronne, etc., que l’auteur de l’acte d’accusation aurait peut-être dû poursuivre comme complices.. M. Charon ayant déjà reçu 900 francs, M. Libri ne lui compta que 1,500 francs pour ses 316 lettres. Vous devinez tout de suite le but de ces formalités. La seule chose importante, c’était de faire déclarer dans un acte authentique, au libraire, qu’il avait vendu déjà des lettres italiennes et qu’il en attendait de nouvelles, le tout sans qu’il soupçonnât l’usage qu’on voulait faire de cette déclaration. Les lettres et l’acte de vente furent aussitôt présentés au grand-duc. Je conviens qu’il n’était guère probable que S. A. I. les acceptât en présent de M. Libri. Toutefois les lettres ne lui furent remises qu’après avoir été publiquement exposées à la vue des curieux de Florence. Leur origine n’était pas difficile à constater, et l’effet qu’elles produisirent fut considérable. En remerciant M. Libri, on s’excusa de lui avoir appliqué une mesure générale. Le bibliothécaire mourut subitement, et il eut raison, car il était menacé d’aller balayer les rues de Livourne. Je n’ai pas ouï dire que M. Libri, qui était alors à Paris, l’ait fait assassiner, mais je ne sais pas s’il n’a pas sa mort sur la conscience.

Je crois inutile, monsieur, de vous fatiguer d’autres citations, et vous saviez, avant ma lettre, à quoi vous en tenir sur l’acte d’accusation contre M. Libri. L’auteur, pour prouver l’identité des livres de l’accusé avec des volumes perdus, ne tient compte ni du format, ni des titres, ni des dates ; il ne sait pas même si les livres sont perdus, car il ne prend pas la peine de faire les vérifications les plus faciles ; il interprète des phrases d’une correspondance italienne, et il ne peut citer trois mots d’italien sans les estropier ; il accepte les témoignages les plus absurdes contre l’accusé et ne mentionne pas les dépositions à décharge ; il ignore des faits connus de tout le monde ; il néglige d’ouvrir des livres qui sont dans les mains de tous les amateurs. Que ne