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événemens de Paris et les luttes des factions. Favorable à un régime libéral et sensé, hostile aux violences et aux sottises démocratiques, il ne veut pas renoncer à son rôle d’initiateur. En vain se déclare-t-il monarchiste, son langage est le langage d’un tribun. S’il a des paroles de sympathie pour Louis-Philippe et Casimir Périer, à quelques pages plus loin il se fait le héraut d’armes des barricades. À travers la brillante mêlée de ses appréciations, on ne saurait dire exactement ce qu’il aime et ce qu’il repousse. La louange et le blâme, tout vous trompe dans ces pages légères, tout a une physionomie suspecte ; méfiez-vous, la louange est railleuse, et le blâme confine à l’enthousiasme. Sans doute, il ne faut pas demander à un humoriste un fidèle récit des événemens et de calmes jugemens sur l’ensemble des choses : on voit trop néanmoins que l’ironie est ici la ruse préméditée d’un esprit qui n’ose se déclarer avec franchise. Au milieu de tout cela, la verve de l’écrivain jette maintes pensées d’une justesse étincelante, maints portraits merveilleusement exacts, maintes descriptions du monde où se reproduit avec une vérité singulière le bruit de ces turbulentes années. Républicains, bonapartistes, légitimistes, hommes du juste-milieu, sont vivement mis en scène avec leurs théories ou leurs passions. La grande idole de M. Henri Heine, l’empereur, tient le centre du tableau, in medio mihi Coesar erit ;… mais c’est l’empereur tel qu’il se transfigure dans la conscience du peuple et l’imagination du poète, l’empereur presque mystique dont l’image est accrochée au mur de la cabane du paysan à côté de l’image du Christ, l’empereur saint-simonien, ajoute plaisamment M. Henri Heine. Quand il apprend la mort du duc de Reichstadt, est-ce la ruine du bonapartisme ? s’écrie-t-il. « Non, le vrai bonapartisme est pur de tout mélange de matière animale, c’est l’idée d’un monarchisme à la plus haute puissance employé au profit du peuple, et quiconque aura cette force et l’emploiera ainsi sera appelé Napoléon II. » Ainsi va ce livre, plein de folie et de raison, plein d’audace et de réticences, cachant mal l’embarras du publiciste sous la fantaisie du railleur, se déchaînant contre les tartufes quand il a peur d’attaquer les démagogues, tour à tour libéral, saint-simonien, juste-milieu, très amusant toujours et digne de rester comme un document instructif, si l’auteur eût conservé toute la liberté de son esprit.

M. Henri Heine est plus à l’aise quand il reste dans le domaine purement littéraire et qu’il veut faire connaître à la France la marche de la poésie et de la philosophie germaniques. C’est le vrai théâtre qui convient à cette initiation révolutionnaire dont il se vante. Parmi ses écrits en prose, les deux volumes sur l’Allemagne[1], très contestables

  1. Une partie de cet ouvrage a paru dans la Revue, livraisons des 1er mars, 15 novembre et 15 décembre 1834.