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et sûr qui la mette à l’origine dans sa vraie route, ou qui l’y fasse rentrer, si par malheur elle en était sortie, alors elle se développe avec une vigueur et avec une rapidité merveilleuses. Voyez l’astronomie au commencement de l’ère chrétienne, un esprit vigoureux, mais subtil, se trompe sur la méthode qui lui convient, il crée une astronomie spéculative. Les contemporains de Ptolémée le suivent, il fait école : voilà la science des cieux retardée de quinze siècles. Enfin, en 1543, Copernic brise d’une main vigoureuse l’édifice d’hypothèses sous lequel l’esprit spéculatif avait si long-temps étouffé l’astronomie, et la rappelle à sa véritable méthode. Elle retrouve son génie avec sa route, et aussitôt les grandes découvertes et les grands hommes se pressent dans son histoire. Copernic meurt ; mais Képler et Galilée sont déjà nés. Descartes leur succède, puis Newton, qui finit par trouver dans l’observation du phénomène le plus vulgaire tout le secret de l’architecture du monde. L’école de l’économie politique, pour peu qu’elle sache en entendre les leçons, est là tout entière. Si elle continue à se nourrir de spéculations chimériques, comme l’astronomie avant Copernic, elle ne fera que languir et s’égarer ; si, au contraire, s’arrachant d’un effort vigoureux à de vaines séductions, elle rentre dans cette carrière expérimentale où le bon sens d’Adam Smith l’avait engagée, et d’où elle n’aurait jamais dû sortir, rendue à sa fécondité en même temps qu’à son génie, elle peut concevoir, elle aussi, les plus nobles espérances. Elle a jusqu’ici essayé un peu de toutes méthodes comme de toutes choses. Il n’y a pas bien long-temps qu’elle s’intitulait la science universelle, et, au moment où j’écris, il n’y a rien de trop rigoureux à dire qu’elle se cherche encore un peu elle-même. La circonscription fixe de ses bornes est à peine reconnue ; on dispute dans le monde des économistes sinon du point où elle commence, au moins de l’endroit où elle finit. Sa logique est en pleine discussion ; sa langue est incertaine, ses connaissances éparses ; tout est mêlé dans ses livres, le vrai, l’hypothétique et l’idéal ; enfin elle en est précisément à cette époque de crise où tout fermente dans l’existence embryonnaire des sciences ; elle en est à ce moment redoutable de formation où se décide le destin de toutes choses. Deux routes s’ouvrent à la fois devant ce jeune Hercule : l’une, dont l’abord est semé de fleurs, mais qui mène à un précipice, c’est la route de l’hypothèse ; l’autre, dont les commencemens sont durs, mais qui conduit à la vérité, c’est la route de l’expérience. C’est l’heure, ou l’économie politique est perdue pour un temps que nul ne sait, de rentrer dans la vraie voie, dans la voie laborieuse, mais sûre, qui ne la trompera pas plus sur la solidité et la grandeur des résultats où elle saura la conduire, qu’elle ne la trompe tout au début sur la sévérité de conduite d’esprit qu’elle exige.

L’obstination de système fera dire : « Mais ce serait descendre ! mais ce serait abaisser la science à l’art ! » Étrange perversion du sens naturel