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ce traité dont le maintien, alors même que les désastreuses conséquences en furent publiques, resta imposé sous menace de casus belli à tous les successeurs de Calonne et de Vergennes, ce traité que la convention rompit à coups de canon, dont le souvenir, en 1801, au milieu même des négociations de la paix d’Amiens, faisait bondir l’ame du premier consul et dont l’orgueilleux rappel ralluma pour douze ans la guerre en 1803, ce traité honteux et inepte, où l’Angleterre avait fait de la France sa ferme, sa cave et son marché, c’est l’idéal appliqué de l’école économique anglaise. On en conviendra sans doute, ce serait pousser loin l’amour de l’économie spéculative, à supposer même, ce qui n’est pas, qu’elle fût métaphysiquement irréprochable, que d’en embrasser les principes au prix de pareilles conséquences. Une philosophie plus humanitaire, puisque humanitaire il y a, doit, à notre sens, inspirer des gouvernements soucieux de leur honneur et jaloux de leur ascendant : c’est une philosophie qui cherche l’idéal de la prospérité du monde, non pas dans la préoccupation exclusive du salut de la grandeur d’un seul peuple, mais dans la considération universelle des intérêts divers et également respectables de toutes les nations qui se partagent et qui enrichissent ce monde.


III.

Il résulte, je crois, de ce qu’on vient de lire, que l’économie politique est aujourd’hui livrée à l’empire à peu près absolu d’une école qui, en la détournant de sa voie naturelle, l’a rendue aussi dangereuse en application qu’erronée en théorie. Je voudrais, pour conclure, exposer rapidement dans quel sens il serait désirable de voir les publicistes voués par profession ou par goût à ces belles études en diriger désormais l’esprit et les travaux.

Les erreurs de méthode sont funestes à la fortune des sciences expérimentales, et il n’en est pas où elles se doivent donner plus de garde de tomber, à cette époque critique surtout, où, sortant de leurs premiers essais, elles sont appelées à faire le choix définitif d’une règle de conduite d’où dépend le reste de leur destinée. L’esprit est porté à dédaigner l’expérience dont il trouve la marche laborieuse et lente enivré de sa force, séduit par le désir de posséder la vérité, dès seulement qu’il croit l’entrevoir, il se précipite avec emportement vers elle au travers des spéculations et des hypothèses. Les sciences expérimentales ont tout à craindre de cette dangereuse tendance de l’intelligence humaine. Semblable à un vent pernicieux, l’esprit spéculatif, lorsqu’il souffle ainsi sur elles au moment de leur floraison, en arrête tout à coup la sève ; la moisson qui allait éclore périt, et en un jour un ordre entier de connaissances est stérilisé quelquefois pour des siècles. Qu’une science d’observation, au contraire, rencontre un esprit sain