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grace ; mais il est trop clair, en vérité, que c’est au nom et par application des principes et des méthodes de la théorie qu’ils avaient couverte de leur probité et de leur talent que toutes ces chimères sont venues au monde, et il est trop clair aussi qu’après avoir érigé en dogme le mépris de toute expérience, ce n’a été que par un mouvement aussi illogique qu’il était moral et sensé qu’ils ont pu combattre des doctrines formées dans des principes dont ils avaient été les propagateurs.

Nous n’insisterons pas davantage sur ce côté délicat des dangers pratiques de la théorie anglaise. Ce que nous avons dit suffit à faire concevoir combien cette théorie, en passant des bouches les moins suspectes dans des esprits inexpérimentés ou violens, et de livres purement philosophiques dans le domaine des faits, peut amener de désordres ; nous laisserons à la mémoire et à la réflexion de chacun le soin de conclure à cet égard. Un dernier ordre de considérations maintenant, non moins utile à envisager que les deux autres, l’ordre des considérations politiques, doit fixer quelques instans notre attention.

Il est assez naturel que l’économie politique, comme avec grande raison selon nous elle s’appelle, soit une science dont les découvertes et les tendances aient un intérêt réel pour l’administration tant intérieure qu’extérieure des états. La manière la plus fructueuse et la plus désirable possible de produire et de distribuer la richesse au sein d’une société particulière et entre toutes les sociétés du globe est même un des objets les plus importans à observer par les gouvernemens ; aussi les systèmes que bâtissent dans cette visée les économistes ont-ils à la fois un attrait et une portée politique incontestables. Recommander tel régime agricole, industriel ou commercial, de préférence à un autre, ce n’est pas seulement une affaire de pure philosophie, c’est aussi et surtout un acte direct d’intervention dans la politique existante du pays où l’on vit et de tous les pays du monde, et quant à la portée de cet acte, on peut être assuré qu’elle se révèlera tôt ou tard par des effets pratiques bons ou mauvais, selon qu’il aura été ou réfléchi ou téméraire, car il en est du monde moral comme du monde matériel, et on peut dire de celui-là ce qu’un sage disait de celui-ci : Il ne s’y fait rien en vain. L’esprit politique de la théorie de l’école anglaise, tant au point de vue purement abstrait et de simple philosophie qu’au point de vue pratique, c’est-à-dire d’application et de propagande, mérite donc d’être attentivement considéré.

Les Principes de M. Mill peuvent servir à nous révéler cet esprit sous le double aspect que nous indiquons. M. Mill, dans ses Principes, s’est proposé de tracer, d’après la méthode spéculative qu’il avait exposée dans ses Essais, le plan modèle des institutions idéalement le plus favorables à la production et à la distribution de la richesse sur toute la surface du globe. M. Mill, en économiste strictement spéculatif, n’a