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débordèrent alors à la fois. Sous prétexte d’idéal, les utopies les plus ineptes, les projets les plus menteurs, les idées les plus insensées se produisirent. Puis, un jour de malheur, à la faveur d’une commotion politique qui par elle-même n’était rien, une explosion sociale épouvantable eut lieu, et le sol entier de l’Europe trembla.

Ah ! sans doute, l’école française ce jour-là n’hésita pas un moment entre l’abandon de principes qui lui étaient chers et la défense de la société, et chacun se souvient encore de la décision et de la vigueur avec laquelle elle travailla à ramener les esprits sur le terrain de l’expérience et du bon sens. Déjà M. Rossi, dans ses cours, s’était, bien avant que le socialisme fût devenu un fléau social, élevé avec une mordante ironie contre ces utopistes rétrogrades dont il avait des premiers pressenti la venue, et, s’il nous est permis d’apporter ici le témoignage d’un souvenir personnel, il nous semble que nous le voyons et que nous l’entendons encore mettre le jeune auditoire qu’il charmait en garde contre les périls et d’esprit et d’action de la méthode spéculative. Quand parlant, par exemple, au nom de l’idéalisme le plus élevé, de l’avenir social et politique possible de l’humanité, il avait provoqué à son amphithéâtre de l’École de droit quelque mouvement d’enthousiasme, tout d’un coup il s’arrêtait, et d’un mot sardonique et froid, qui tombait comme glace sur l’imagination émue de cette jeunesse, il la rappelait à l’impitoyable considération du monde réel. On sait ensuite ce qu’au jour du combat a fait M. Rossi pour la cause du bon sens : il est allé la défendre à Rome, et il y a laissé sa vie. Je ne puis pas oublier davantage qu’ici même, à cette place où j’instruis bien tranquillement le procès du système spéculatif, un autre de ses défenseurs, et des plus ardens, au lendemain et au plus fort de la révolution de février, s’est élevé contre des utopies qui n’étaient cependant que des conséquences de ce système avec une éloquence deux fois digne de mémoire, car alors, en de telles matières, on n’était ni sensé ni éloquent sans danger. Mais si ces généreuses contradictions honorent les hommes, elles n’excusent ni ne sauvent les systèmes. Au contraire, elles sont des témoignages accablans en déposition de leur fausseté. Où avait-il trouvé le point d’appui et l’origine de sa dangereuse utopie, ce révolutionnaire par principes qui passionnait les masses au nom de l’organisation du travail, où, je le demande, sinon dans la théorie de l’école anglaise ? D’où sortaient-ils, sinon de la même source, ces romans économiques de la banque d’échange, de l’impôt progressif, du circulus, de la triade, et tous ces rêves fous et ruineux qui de tout temps ont effrayé le bon sens, et qui hier épouvantaient la société ? Les maîtres français de l’économie spéculative ont repoussé ces désastreuses chimères, et, se plaçant sur le terrain de la vraie économie, c’est-à-dire de l’économie expérimentale et pratique, les ont détruites. Il faut leur en rendre