Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/282

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous devons reconnaître ici du reste, non sans une vive satisfaction, que l’école contemporaine française, tout en se réduisant à ne marcher en théorie qu’à la suite de l’école anglaise, a toujours, par une contradiction généreuse, repoussé les tristes conséquences que les maximes de cette école entraînent dans la pratique industrielle. On peut prendre au hasard tous les économistes français ; il n’y en a pas un qui dans ses écrits n’ait protesté contre cette exploitation de l’ouvrier ainsi que d’une machine. M. Rossi surtout s’élève à chaque instant à ce sujet aux considérations morales de la plus chaleureuse éloquence. Au nom de quelle autorité logique, cependant, l’école française repousse-t-elle ainsi les conclusions d’un système dont elle déclare tous les principes autant de théorèmes inébranlables, pour parler comme M. Rossi ? Si les principes de l’économie spéculative sont vrais à ce point qu’elle doive servir d’idéal à l’économie pratique, sur quoi se fonde-t-on pour en récuser les conséquences ? L’école française, dans son inconséquente et généreuse résistance, a pour elle la morale et le bon sens, mais il lui manque la logique, et elle n’a qu’un moyen de la mettre de son côté, c’est de rompre avec des théories qui lui imposent fatalement des opinions contre lesquelles son ame se soulève. Une preuve aussi sensible de la fausseté de ces théories aurait dû suffire, ce semble, à M. Rossi, et devrait éclairer ses successeurs. Il faut rendre aussi hommage à notre grande, honnête et vraiment philanthropique industrie nationale, et cet hommage, on le lui doit complet, car chez elle la logique et la pratique sont d’accord. Il n’y a rien de spéculatif, grace à Dieu, dans la manière dont nos industriels entendent l’application de l’homme à la production manufacturière. Ce n’est pas notre industrie qui cherche, sur la foi d’un idéal aussi odieux qu’il est faux, à augmenter les profits du capitaliste en diminuant les salaires de l’ouvrier. Les salaires de l’ouvrier français, dans toutes les industries, ont augmenté depuis vingt ans ; dans quelques-unes, ils ont doublé. Ce ne sont pas non plus nos industriels qui, pour produire au plus bas prix possible, considèrent exclusivement leurs ouvriers comme des machines dont il s’agit d’extraire la plus grande puissance de rendement imaginable. Il n’y a presque pas de grand établissement manufacturier maintenant en France qui, à son honneur, sans s’inquiéter de savoir si cela augmente ou non le prix de revient de ses produits, ne se charge de l’éducation des enfans de la population qu’il emploie, et ne vienne, sous mille formes, au secours de celle-ci dans la maladie et dans la vieillesse, en créant à ses frais des caisses de secours, des hospices, et jusqu’à des pensions de retraite. Ce sont là assurément des faits dont non-seulement la reconnaissance publique, mais dont la science aussi doit tenir compte ; l’école française ne les ignore pas et ne les a pas méconnus, car, je le répète, elle atteste à tout moment