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fer, la houille, etc., qui l’encombrent, et cherchant de plus en plus sur la surface du globe des débouchés qui semblent se rétrécir devant elle à mesure qu’elle aurait plus besoin de les voir s’élargir. De là, dans ce grand pays, un malaise à certaines heures horrible : d’un côté, la famine et le haut prix des blés ; de l’autre, une production manufacturière surabondante et l’avilissement du prix de la main d’œuvre, disette et étouffement, et l’abondance aussi fatale que la rareté. Tel est le tableau qu’a offert l’Angleterre, depuis et y compris Ricardo, là tous les écrivains que leur goût ou leur génie ont jetés dans les études économiques. Apercevez-vous maintenant quelle influence la vue d’un pareil état de choses a pu exercer sur le tour d’esprit des économistes anglais ? Voyez-vous tous les principes, toutes les conclusions, l’idéal enfin de l’économie spéculative, sortir avec une logique fiévreuse du spectacle offert par la Grande-Bretagne à l’œil effrayé de ses enfans ? Rien n’est plus rigoureux ni plus simple. La richesse de l’Angleterre est essentiellement manufacturière ; mais les manufactures britanniques ne sont plus seules aujourd’hui dans le monde : pour lutter avec ces rivales si long-temps inconnues et pour les écraser, si l’on peut, car tout ce qu’elles écoulent est une perte nette pour le peuple anglais, pour les écraser donc, il faut produire à plus bas prix qu’aucune d’elles, au plus bas prix possible. De là la première abstraction que vous avez vue servir de base à la théorie spéculative, l’abstraction du caractère moral et sensible de l’ouvrier, l’assimilation absolue de ses deux bras aux rouages d’une machine, et jusqu’à l’oubli même de son âge et de son sexe. En effet, il ne s’agit que de trois choses, produire à bas prix, produire à bas prix et encore produire à bas prix ; le reste n’appartient pas, comme on dit, à la science. L’origine historique de la seconde abstraction dont part le système, l’abstraction des lois physiques de la nature et des lois sociales de l’humanité, est tout aussi claire. Après avoir produit à tout prix et à plus bas prix que qui que ce puisse être, de quoi a besoin, dans l’atmosphère étouffante de mines et d’ateliers où elle vit, la manufacturière Angleterre ? D’écouler ses richesses, et de les écouler comme elle les produit, sans retard, sans limites, sans fin. Le temps et l’espace mettent obstacle à la distribution par tout le globe de l’immense production britannique ? L’économiste spéculatif et patriote, qui, penché sur la misère et l’opulence du comté de Lancastre, en envisage avec effroi les nécessités, leur immole d’un trait de plume et l’espace et le temps. Les nationalités étrangères, en créant des centres de production différens de ceux de la Grande-Bretagne, lui font une concurrence qui ralentit l’écoulement de richesse dont elle a à toute minute le fatal et dévorant besoin ? L’économiste spéculatif supprime ces nationalités, hormis une, la sienne, la nationalité de la vieille et grande Angleterre. L’idéal enfin du système,