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voie toute différente, serait déjà assez remarquable par lui-même pour mériter, à titre au moins d’événement singulier de l’histoire de l’esprit humain, d’arrêter l’attention ; mais l’importance que l’économie spéculative a prise, en passant d’Angleterre en France, la rend très intéressante à d’autres égards. L’école spéculative a conquis à ses maximes à peu près tous les économistes français contemporains, les plus circonspects eux-mêmes aussi bien que les plus téméraires. Il me suffira de citer comme exemple des premiers l’illustre et si regrettable M. Rossi. Les fils du savant professeur viennent de publier le troisième volume, resté plusieurs années inédit, de son Cours d’économie politique. M. Rossi, dans ce volume, tout en protestant expressément contre les conséquences possibles de la doctrine nouvelle en matière de gouvernement, se déclare néanmoins de la manière la plus vive en faveur de ses principes. Il s’ensuit que l’on ne peut plus considérer cette doctrine comme un simple système particulier aux économistes anglais. Établie à la fois dans les deux grands centres d’étude et d’enseignement de la science économique, — à Paris et à Londres, — son esprit aujourd’hui domine cette science entière, et ce n’est plus à une théorie plus ou moins intéressante d’économie politique que l’on a désormais affaire avec elle, c’est à toute une révolution dans la méthode, c’est-à-dire dans la direction de l’économie politique même. Il y a plus : quand les principes d’une science changent, il est inévitable que ses résultats changent aussi ; l’étude spéculative d’un ordre d’objets déterminé ne saurait conduire aux mêmes conclusions que leur étude expérimentale. Si une révolution s’est accomplie ou est en voie de s’accomplir dans la science économique, cette révolution en doit infailliblement affecter les conclusions comme les principes ; mais ici, et tout à côté de la question scientifique, une question pratique d’une très grave importance, elle aussi, s’élève. Les objets de l’économie politique, le travail, la terre, le capital, les salaires, la rente, les profits, l’impôt, sont des objets dont l’étude n’intéresse pas seulement les méditations solitaires d’un philosophe, et les idées que l’on peut parvenir à se faire, soit par l’observation, comme le voulait Adam Smith, soit par le raisonnement, comme le veut l’école nouvelle depuis Ricardo, de la meilleure manière imaginable de les organiser ou de les distribuer, ne sont indifférentes ni aux particuliers ni aux étais : au contraire, les sociétés et les gouvernemens n’ont peut-être rien qui les touche de plus près. Ainsi, par les conséquences politiques et sociales qui d’elles-mêmes découlent des principes qu’elle arbore, l’économie spéculative mérite autant au moins qu’au pur point de vue philosophique l’intérêt des intelligences élevées. Ajoutez enfin une dernière considération : l’Angleterre, en ce moment, se débat au sein d’une crise économique dont l’issue est.inconnue, mais de laquelle dépend très certainement la destinée à venir de sa suprématie sur les mers et de sa grandeur dans le monde.