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Son règne, long et prospère, et dont nous connaissons déjà les faits remarquables, justifie cette prédilection marquée. Moïse, en parlant d’Artaxès, mentionne entre autres autorités l’Histoire des Temples, écrite par Olympien ou Olympus, prêtre païen d’Ani[1], et les Annales de la Perse, mais surtout les chants populaires qui embrassaient le cycle des événemens de ce règne. « Les actions du dernier Artaxès, dit-il en s’adressant à Isaac le Bagratide, te sont en grande partie connues par les poésies historiques que l’on chante dans le district de Koghten. La fondation de la ville d’Artaxate, l’alliance de ce prince avec les Alains, sa postérité, l’amour de Sathinig pour les descendans des dragons, désignation symbolique des descendans d’Astyage, qui occupent le pied du Massis, la guerre contre eux, l’anéantissement de leur puissance, leur extermination et l’incendie de leurs habitations, la jalousie qui s’alluma entre les fils d’Artaxès et les combats qu’ils se livrèrent à l’instigation de leurs femmes, — tous ces faits s’offrent à toi mentionnés dans les chants historiques. »

Dans le nombre de ces ballades, il y en a une dont Moïse nous a laissé un fragment, et à laquelle donna naissance la naïve et touchante histoire de la princesse Sathinig, qui devint la femme d’Artaxès.

« Les Alains, ligués avec les montagnards du Caucase et une partie des peuples de l’Ibérie, vinrent fondre sur l’Arménie en nombre considérable. Artaxès, ayant réuni toutes ses troupes, s’avança centre eux. Dans un engagement qui eut lieu sur les confins des deux nations, les Alains plièrent, et, avant traversé le Cyrus, vinrent camper sur la rive septentrionale, tandis que les Arméniens étaient postés sur le bord opposé ; le fleuve les séparait. Le fils du roi des Alains avait été fait prisonnier et conduit à Artaxès. Son père proposa la paix à telles conditions qu’Artaxès exigerait, et sous la promesse, garantie par un serment solennel, que les Alains ne tenteraient plus d’incursion sur le territoire arménien. Comme Artaxès refusait de rendre le jeune prince, la sœur de celui-ci accourut sur le bord du fleuve, et, montant sur un tertre élevé, fit entendre ces paroles, par la bouche des interprètes, dans le camp ennemi : « Ecoute-moi, valeureux Artaxès, vainqueur des braves Alains, consens à me rendre ce jeune homme, à moi, la fille aux beaux yeux. Il n’est pas digne d’un héros, pour satisfaire un désir de vengeance, d’ôter la vie aux fils des héros, ou de les tenir en servitude comme des esclaves et d’entretenir une inimitié sans fin entre deux courageuses nations. » Artaxès, avant entendu ces sages paroles, s’approcha du fleuve ; il vit la belle Sathinig, écouta ses propositions pleines de sens, et s’éprit d’amour pour elle. Puis, ayant mandé Sempad, vieux guerrier qui avait élevé son enfance, il lui découvrit le désir de son cœur d’épouser la jeune princesse, de faire un traité d’amitié avec sa nation et de renvoyer en paix son frère. Sempad, ayant approuvé ces projets, envoya demander au roi des Alains la main de Sathinig. — Eh quoi ! répondit son père, le valeureux

  1. Forteresse sur l’Euphrate où se trouvait, suivant un historien du IVe siècle, Agathange (p. 586, édit. de Venise, 1835), la sépulture des rois arméniens.