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rapporte une autre tradition qui se rapproche de celle qu’a adoptée l’auteur du Schah-Nameh. « Les Perses racontent, dit-il, qu’un certain Hroutên, ayant chargé de chaînes d’airain Piourasb Astyage, le conduisit à la montagne appelée Dembavend, que dans le trajet Hroutên s’endormit et que Piourasb l’entraîna vers la colline. Hroutên, s’étant réveillé, le mena dans les cavernes de la montagne, l’enchaîna et se posa devant lui comme une statue. Piourasb, terrifié, reste ainsi enchaîné et dans l’impossibilité d’aller dévaster le monde[1].

L’un des fils du roi Tigrane Ier, Vahaken, s’est transfiguré dans la légende sous des traits qui l’ont fait assimiler à l’Hercule des Grecs. Sa naissance était célébrée dans un chant cosmogonique où respire en plein le génie symbolique du vieil Orient. Moïse de Khorène en a retenu quelques vers où l’expression, d’une concision extrême et d’une admirable beauté, nous donne une bien haute idée de la perfection à laquelle était parvenue la langue arménienne dans ces âges reculés et du talent des poètes qui surent si bien la mettre en œuvre. Je vais hasarder une traduction de ce texte antique :

Le ciel et la terre étaient dans les douleurs de l’enfantement ;
La mer, aux reflets de pourpre, était aussi en travail ;
Du sein des eaux naquit un petit roseau vermeil ;
Du tuyau de ce roseau sortait de la fumée ;
Du tuyau de ce roseau jaillissait de la flamme ;
De cette flamme s’élançait un petit enfant ;
Il avait une chevelure de feu,
Une barbe de flammes ;
Ses petits yeux étaient deux soleils.

Ces vers étaient encore chantés par les populations au siècle de Moïse de Khorène, car il affirme les avoir entendu répéter au son du pampirn. « On célébrait pareillement les hauts faits de Vahaken, ses victoires contre les dragons, ses exploits aussi merveilleux que ceux d’Hercule. On disait qu’il avait été élevé au rang des dieux, et dans le pays des Ibériens (la Géorgie moderne) on lui éleva une statue devant laquelle on offrait des sacrifices. »

À une époque bien postérieure à celle des personnages précédens et qui nous ramène au temps d’Artaxès II, fils de Sanadroug, le onzième des Arsacides d’Arménie (88-129 de Jésus-Christ), nous voyons les poètes de ce pays s’exercer à l’envi sur les faits et gestes de ce souverain.

  1. Il est très singulier d’apprendre par Moïse de Khorène que Piourasb Astyage professait des doctrines identiques au communisme moderne. Moïse s’exprime sur ce point en termes explicites, que je traduis littéralement. « Piourasb voulait montrer à chacun, dit l’historien, qu’il menait la vie de tous ; il prétendait que personne ne doit rien posséder en particulier, mais que tout doit être en commun. » Livre Ier, appendice.