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Dans la légende de Sémiramis, le récit de la conquête qu’elle fit de l’Arménie paraît avoir été accommodé par les poètes aux goûts du vulgaire. Cette princesse, éprise d’Ara, le huitième successeur de Haïg, dont elle avait entendu vanter la beauté, lui envoya de riches présens, et le fit solliciter par des instances réitérées de venir la trouver à Ninive, lui offrant sa main et la couronne d’Assyrie ou les épanchemens d’une tendresse dont aucun lien n’enchaînerait la liberté. Ara, fidèle à son épouse bien-aimée Nouart, repousse ses avances. Outrée de se voir dédaignée, Sémiramis vient, avec des forces nombreuses, fondre sur l’Arménie ; mais au moment du combat elle veut que ses généraux épargnent, s’il est possible, la vie de l’objet de sa passion. Cependant les troupes assyriennes sont victorieuses ; Ara succombe dans la mêlée. Alors elle donne l’ordre à ceux qui avaient l’office de dépouiller les cadavres de chercher son corps parmi les morts, et elle le fait transporter sur la terrasse de son palais. Comme les Arméniens revenaient à la charge pour venger le trépas de leur souverain, elle fait entendre ces paroles : — « J’ai commandé à mes dieux de lécher les plaies d’Ara, et il sera rappelé à la vie. » Elle espérait en même temps, par la puissance de ses enchantemens magiques, le ressusciter ; mais, la putréfaction ayant gagné le cadavre, elle le fait jeter dans une fosse profonde, loin de la vue de tous. Puis, prenant auprès d’elle un de ses amans qu’elle avait fait travestir en secret, elle répand cette nouvelle — Les dieux, ayant léché les plaies d’Ara, lui ont rendu l’existence. — Ces bruits, propagés en Arménie, persuadent les esprits et mettent fin à la guerre.

Ce passage est surtout précieux par le témoignage qu’il renferme et auquel j’ai déjà fait allusion : c’est celui de la connexion qui existait entre le système religieux de l’Arménie et celui des Assyriens. Les écrivains arméniens nous parlent d’une classe d’êtres surnaturels ou de divinités nées d’un chien[1] et appelées Arlêz, dont les ’fonctions étaient, ainsi que l’indique la signification de leur nom[2], de lécher les blessures des guerriers tombés sur le champ de bataille et de les faire revenir à la vie. Un autre passage que nous fournit un historien du Ve siècle, Faustus de Byzance, jette de nouvelles lumières sur ce mythe, et, ce qui est très remarquable, nous le montre persistant encore en Arménie à la fin du IVe siècle, quoique le christianisme y fût devenu la religion dominante. Il s’agit, dans Faustus, du général en chef des Arméniens, Mouschegh, de la famille satrapale des Mamigoniens, qui fut calomnié auprès du roi arsacide Varaztad, fils de Bab

  1. Eznig, auteur du Ve siècle, dans son ouvrage intitulé Réfutation des Sectes, texte arménien. Venise, 1836, p. 98 et 100.
  2. Arlêz, en arménien, signifie léchant continuellement et complètement. Dictionnaire de l’Académie arménienne de Venise, 2 vol. in-4o, 1836-37, t. II, p. 341.