Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/250

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’enfonçant dans les obscures profondeurs de l’histoire, ne nous apparaissent que sur la limite des âges mythologiques, comme Bélus et Sémiramis, il est impossible de ne pas admettre, d’après certains détails dans les portraits et les descriptions locales, qu’elles ne soient un écho fidèle, quoique lointain, des traditions contemporaines.

Le premier et le plus ancien récit de Mar Iba Katina est celui qui, d’accord avec les souvenirs encore vivans du temps de Moïse de Khorène, nous peint Haïg se soulevant contre l’oppression de Bélus et émigrant vers les contrées du nord, en Arménie, puis soutenant vaillamment la lutte que le roi d’Assyrie engagea contre lui, et assurant son indépendance par la défaite et la mort de ce prince. On remarquera dans ce fragment quelques traces de ces réminiscences grecques introduites après coup dans les textes dont fit usage l’historien syrien, et que j’ai déjà signalées.


« Haïg, ce chef remarquable par sa beauté aux proportions harmonieuses, sa force musculaire, sa chevelure bouclée, son vif regard, Haïg, le plus brave, le plus renommé entre les péans, s’opposa à tous ceux qui levaient une main dominatrice sur les géans et les héros. Dans son audace, il entreprit de résister à la tyrannie de Bélus, lorsque le genre humain se répandit au loin sur la terre, au milieu des flots pressés d’un peuple d’êtres féroces, d’une force et d’une taille démesurées. Chacun d’eux, poussé par sa frénésie, enfonçait le glaive dans les flancs de son compagnon, et s’efforçait de s’arroger l’empire. Cependant la fortune aida Bélus à se rendre maître absolu. Haïg, refusant de lui obéir, après avoir engendré son fils Arménag à Babylone, s’en va au pays d’Ararad, vers le nord, avec ses fils, ses filles, les fils de ses fils, hommes vigoureux au nombre de trois cents, avec ses serviteurs et des étrangers qui s’étaient dévoués à lui, et avec tout son avoir. Il s’arrêta au pied d’une montagne, dans une plaine habitée par un petit nombre d’hommes qui s’étaient précédemment dispersés. Haïg, leur ayant imposé sa loi, fonda en cet endroit un établissement qu’il donna en apanage à Gatmos, fils d’Arménag.

« Bélus, ce Titan, ayant affermi sa domination universelle, envoie dans le nord vers Haïg un de ses fils, accompagné de quelques hommes sûrs, pour lui apporter ces paroles : — Tu es allé te fixer, lui dit-il, au milieu des frimas ; réchauffe, adoucis l’âpreté glaciale de ton caractère hautain, reconnais mon autorité, et vis tranquille, là où il te plaira, dans toute l’étendue de mes domaines. Mais Haïg ne répondit à cette proposition que par un fier refus, et les envoyés de Bélus s’en retournèrent à Babylone.

« Alors Bélus, rassemblant des forces considérables, composées d’infanterie, marche vers le nord, au pays d’Ararad, et parvient auprès de la demeure de Gatmos. Celui-ci prend la fuite, en faisant partir en avant de rapides messagers. — Apprends, dit-il à Haïg, ô le plus grand des héros, que Bélus vient fondre sur toi avec ses braves immortels, ses athlètes à la stature colossale. En apprenant qu’ils approchaient de mon habitation, j’ai fui ; me voici accouru en toute hâte. Songe immédiatement aux mesures que tu as à prendre.

« Bélus, à la tête de ses troupes irrésistibles, pareil à un torrent impétueux