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sassanide, le célèbre Khosroës Anouschirwan, fit rassembler dans toutes les parties de son empire les récits populaires concernant les anciens rois de Perse et en fit déposer la collection dans sa bibliothèque. Ce travail fut repris sous le dernier de ses successeurs, Iezdedjerd III, qui chargea le dihkhan Danischwer, un des hommes de la cour de Ctésiphon les plus distingués par la naissance et le savoir, de mettre en ordre les matériaux réunis par Khosroës, et d’en remplir les lacunes avec l’assistance de plusieurs mobeds ou mages. Les dihkhans, suivant la remarque de M. J. Mohl, l’ingénieux et savant traducteur du Schah-Nameh ou Livre des Rois, l’épopée de la Perse, les dihkhans étaient des chefs propriétaires de terres et de villages ; ils constituaient une sorte d’aristocratie territoriale, en possession d’une influence locale qu’ils retinrent même après que les Arabes, en 637, se furent emparés de la Perse. Ces familles étaient d’autant plus intéressées à conserver les souvenirs historiques de leurs localités, qu’une grande partie d’entre elles descendaient des races royales et princières dont les hauts faits formaient la matière de ces souvenirs. Dans les âges postérieurs, plusieurs princes des dynasties qui s’élevèrent sur divers points de la Perse, les Soffari les, les Samanides, les Gaznévides, imprimèrent une vive impulsion aux recherches entreprises précédemment par ordre de Khosroës Anouschirwan et d’Iezdedjerd III. Ces travaux donnèrent naissance à plusieurs ouvrages qui tous parurent sous le titre de Livre en Histoire des Rois, et dont le plus remarquable, composé dans l’intervalle écoulé depuis la fin du Xe siècle jusqu’aux premières années du siècle suivant, est le Schah-Nameh, ce poème qui a immortalisé le nom de Firdoussy, son auteur. Dans un grand empire comme la Perse, toujours indépendant et où l’unité du pouvoir ne fut point brisée dans la transition d’une dynastie à l’autre, on conçoit comment la tradition nationale a pu se développer, prendre corps, se maintenir pendant des siècles à l’état oral, et enfin se transformer en une vaste et magnifique épopée. Dans l’Arménie, cette contrée morcelée autant par sa constitution politique que par la nature, soumise à une foule de dominations étrangères, et ouverte aux influences extérieures qu’y apportaient tous les vents de l’horizon, une semblable création ne put se réaliser. Une preuve péremptoire à l’appui de cette assertion se tire du silence de Moïse de Khoréne, si savant dans la connaissance des antiquités de sa et qui, pour rédiger son histoire, ne négligea aucune des informations qu’il put obtenir. Un phénomène analogue s’est manifesté ailleurs : les Serviens et les Espagnols ont des chants populaires qui se rapprochent tellement du poème épique, qu’il ne fallait qu’un peu plus de liaison entre eux pour donner naissance à une épopée ; mais la Servie n’eut jamais une unité nationale bien assise et durable, et en Espagne cette unité ne se constitua qu’après un long et pénible enfantement,