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conjurés, se déclara indépendant dans son gouvernement et transmit son sceptre affranchi à ses successeurs. L’un d’eux, Tigrane (Dikran) Ier s’illustra par des victoires qui rendirent son nom célèbre au dehors et un objet de prédilection pour les bardes arméniens. Le roi des Mèdes Astyage (Ajtahag) conçut contre lui de la jalousie ; mais, désespérant de le vaincre et de s’emparer de ses états par la force ouverte, il eut recours à la ruse. Ayant sollicité et obtenu la main de Dikranouhi, sœur de Tigrane, il essaya d’attirer ce prince auprès de lui. Tigrane, prévenu sous main par sa sœur, n’eut garde de tomber dans le piège, et, résolu de tirer vengeance de cette perfidie, il unit ses forces à celles de Cyrus ; puis tous les deux, ayant attaqué Astyage, le précipitèrent du trône. Le témoignage de Mar Iba Ratina, invoqué par Moïse de Khorène, concorde avec ce que dit Xénophon des services signalés que rendit le roi d’Arménie au fondateur de la monarchie persane ; mais, en nous apprenant qu’Astyage périt dans le combat de la main de Tigrane, il s’écarte de la version suivie par Hérodote, par Xénophon lui-même, Ctésias et Justin, et d’après laquelle Astyage survécut à la chute de sa puissance. Tigrane emmena captifs, en Arménie, dix mille Mèdes, avec Anouïsch, la première des femmes d’Astyage, et leur assigna pour demeure le pays qui s’étend depuis le revers de la Grande-Montagne (l’Ararad) jusque sur les deux rives de l’Araxe à l’est. Leur postérité s’y accrut considérablement et constitua dans la suite des temps une satrapie appelée Mouratzian, qui fut détruite au milieu du IIe siècle de notre ère. Aux populations mèdes de l’Ararad se rapportait tout un cycle de traditions et de légendes dont s’inspirèrent plus d’une fois les poètes arméniens, et dont quelques traces sont restées éparses dans le livre de Moïse de Khorène. Les princes postérieurs à Tigrane ler continuèrent de gouverner leur royaume, sous la suzeraineté de la Perse, jusqu’à Vahê, fils de Van, le dernier de la lignée de Haïg, qui succomba en défendant ses états contre l’invasion des armées d’Alexandre de Macédoine.

Depuis cette époque jusqu’à l’avènement des Arsacides, vers le milieu du deuxième siècle avant Jésus-Christ, les historiens nationaux n’ont enregistré aucun fait, et, pour suppléer à leur silence, il faut consulter les écrivains grecs. Ceux-ci nous apprennent que les Séleucides n’exercèrent sur l’Arménie qu’une autorité nominale, et qu’enfin Ardaxias ou Artaxès, l’un des préfets auxquels ils en avaient confié l’administration, s’étant révolté ouvertement contre Antiochus-le-Grand, se rendit tout-à-fait indépendant. Pendant ce temps, qui fut une période de troubles et d’anarchie, tout porte à croire que la muse populaire cessa de faire entendre ses accens, puisque Moïse de Khorène, investigateur si zélé de toutes les antiques traditions de sa patrie, n’en a pas retenu le moindre souvenir. Soixante-dix ans après la