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influé sur les vicissitudes politiques qu’il éprouva dans le cours de son existence. Des montagnes plus ou moins élevées, des collines à pente douce, alternent partout avec des vallées dont plusieurs sont très resserrées et dont quelques autres, comme celle de l’Araxe, s’épanouissent en une vaste plaine. Ici, sur les hauteurs, une nature âpre et stérile ; là, dans les bas-fonds, une fertilité qui va quelquefois jusqu’aux dernières limites. Sur un sol aussi accidenté, et où quantité de montagnes séparent, comme autant de barrières, les populations, jamais ne put s’établir un pouvoir unitaire, fort et stable, rayonnant sur toute l’étendue du pays. Depuis les siècles les plus reculés, l’Arménie nous apparaît dans l’histoire morcelée en une foule de principautés ou satrapies presque indépendantes de l’autorité royale et désunies entre elles. Ces satrapies étaient si multipliées que l’en comptait, au IVe siècle, plus de cent soixante-dix grandes familles qui marchaient de pair avec celle du souverain. La monarchie arménienne manqua toujours de cohésion : affaiblie par des déchiremens intérieurs produits par les vices de son organisation féodale, elle eut bien des fois à subir l’invasion et la conquête. Presque toujours elle fut sous la domination de maîtres étrangers, qui tantôt se contentèrent d’exercer sur elle un droit de suzeraineté, et tantôt la firent gouverner par des lieutenans nommés marzbans au temps des rois sassanides de perse, et osdigans sous le khalifat. Ce n’est qu’à de rares intervalles que quelques princes doués de talens politiques ou militaires parvinrent à s’affranchir du joug ; mais leurs efforts n’aboutirent jamais qu’à une indépendance douteuse et viagère. L’Arménie resta impuissante contre les grands empires qui s’élevèrent autour d’elle en Asie, et elle finit par devenir une proie que se disputèrent les Romains et les Parthes, les Grecs de Byzance et les perses, dont les Arabes arrachèrent des lambeaux, et qu’enfin foulèrent aux pieds les Turks et les Mongols. De nos jours, la Turquie, la perse et la Russie se sont partagé ces derniers débris.

Ce n’est pas que le courage guerrier et le patriotisme aient manqué aux Arméniens. On se ferait une bien fausse idée de ce peuple, si on se le représentait autrefois tel que nous le retrouvons aujourd’hui façonné par une longue servitude à l’humble condition politique dans laquelle il vit, uniquement voué au culte des vertus du foyer domestique et remarquable seulement par ses instincts pacifiques et son aptitude commerciale. L’histoire arménienne a aussi ses périodes héroïques, et l’on y rencontre de temps à autre de belles pages, comme celle où nous voyons la nation se soulevant, dans le Ve siècle, à la voix du général Vartan, son chef, et de ses évêques, peur défendre sa liberté religieuse menacée par lezdedgerd II, souverain de la perse, et faisant reculer les armées du grand roi[1].

  1. Cette lutte a été racontée par un historien arménien contemporain, Élisée, dont le livre a été traduit en français par M. l’abbé Grégoire Kabaragy Garabed, sous le titre de Soulèvement national de l’Arménie chrétienne contre la loi de Zoroastre ; Paris, 1844.