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argumens, l’un de fait, l’autre de principe. L’argument de fait est emprunté aux sentimens mêmes, à l’hostilité invétérée des populations françaises de l’Alsace contre les Juifs de ce pays, qui semblent en effet avoir quelquefois fourni des prétextes aux violences regrettables dont ils ont été l’objet. Pourquoi voulez-vous, dit la Suisse, que nous donnions asile à des individus pour lesquels vous êtes vous-mêmes si peu hospitaliers ? L’Alsace cherche à se prémunir contre l’accroissement de la population juive ; pourquoi voulez-vous que nous ne conservions pas nous-mêmes une juste défiance envers une classe d’hommes que vos paysans repoussent de leur sein ? — Quant au principe, le gouvernement helvétique invoque une note diplomatique du 7 août 1826, par laquelle M. de Rayneval, alors ambassadeur de France en Suisse, voulant, dit-il, écarter pour l’avenir tout sujet de malentendu et d’incertitudes, reconnaît que, « dans ceux des cantons où le domicile et tout nouvel établissement seraient interdits par les lois aux individus de la religion de Moïse, les sujets du roi qui professent cette religion ne sauraient réclamer une exception à la règle générale. » Nous ne doutons pas que la question ne doive se résoudre tôt ou tard dans le sens le plus libéral et le plus humain ; nous aimons d’ailleurs à constater que les cantons ne se prévalent point tous du droit qui leur est accordé par la constitution fédérale et qu’ils croient trouver également dans les traités. Si Bâle-Campagne a refusé l’établissement à sept ou huit Israélites, Bâle-Ville en compte une centaine dans ses murs, et Genève se dispose même, assure-t-on, à concéder gratuitement le terrain nécessaire à la construction d’une synagogue.

L’affaire de la Plata vient de se dénouer brusquement, ou plutôt d’entrer dans une phase nouvelle, par la fuite de Rosas, qui s’est vu contraint de s’embarquer précipitamment sur un navire anglais pour échapper aux armes d’Urquiza. On se rappelle peut-être quelle était la situation des armées belligérantes dans ce pays. Urquiza, appuyé par l’intervention du Brésil, avait pris Montevideo et fait capituler le général Oribe. De là, à la tête d’une armée dans laquelle était un corps brésilien, il avait passé le Parana, et, après avoir rattaché à sa cause la province de Santa-Fé, il s’était immédiatement dirigé sur Buenos-Ayres. Rosas, de son côté, avait établi son armée à Santos-Lugares. C’est aux environs de ce point que la bataille s’est engagée entre les deux armées, bataille où les troupes du dictateur argentin ont essuyé la plus complète défaite. Le résultat a été l’entrée d’Urquiza à Buenos-Ayres, après une capitulation du général Mancilla et la fuite obscure et sans gloire du dictateur, comme nous le disions. Ainsi finit un homme qui a exercé pendant vingt ans l’empire le plus absolu sur son pays, qui était parvenu à étendre sa renommée dans toutes les portions de l’Amérique du Sud, et qui a tenu en échec les plus grands gouvernemens de l’Europe. On n’arrive point évidemment à ces résultats lorsqu’on n’est qu’un homme vulgaire. Le malheur ou plutôt l’erreur du général Rosas, c’est, lorsqu’il était investi du pouvoir le plus absolu, de ne s’être point servi de ce pouvoir pour développer les germes inouis de prospérité qui abondent dans ce pays. Toute sa force, il l’a employée à vivre, à se soutenir, à lutter, et, pour peu qu’on suppose un pays où les passions sont brûlantes, il est facile de s’expliquer les scènes sanglantes qui ont pu résulter parfois d’une telle lutte. L’intervention du Brésil est, sans aucun doute, une des causes les plus directes de la chute du dictateur argentin, et on est porté en France à se