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la tendance d’une fraction de la droite à se séparer du ministère ; ce qu’on nomme le centre gauche, au contraire, tendait à se rapprocher du cabinet ; ce rapprochement a pris un caractère plus manifeste par la nomination de M. Ratazzi, l’un des chefs de ce parti, à la vice-présidence de la chambre. De ce déplacement de forces résultent les difficultés que semble rencontrer le ministère piémontais entre l’opposition dangereuse d’anciens amis, d’alliés naturels, et l’appui insuffisant d’amis nouveaux et fortuits. Le cabinet de Turin a rendu un éminent service à son pays, dans des circonstances récentes, en prévenant par sa sagesse des complications extérieures possibles, éventuelles, bien que peu probables ; c’est à l’intérieur maintenant qu’est le danger, et que la prudence est nécessaire. Très probablement les plus graves discussions auront lieu à l’occasion de quelques lois annoncées par le gouvernement, et qui réveillent à quelques égards ce qu’on a nommé la question religieuse. Ce que le cabinet de Turin ne saurait oublier, c’est que l’opportunité est la condition la plus essentielle pour des lois de ce genre. C’est toujours un malheur quand l’esprit révolutionnaire s’y mêle et en attend un triomphe. Il y a là une solidarité, quelque involontaire qu’elle soit, qu’il appartient au ministère si hautement modéré de M. d’Azeglio de répudier dans l’intérêt de sa propre conservation, dans l’intérêt du gouvernement constitutionnel à Turin, de même que dans l’intérêt des lois appelées à régler de si hautes et si graves questions.

En Suisse, les difficultés diplomatiques que la situation des réfugiés français a récemment soulevées touchent définitivement à leur terme. Le langage des deux gouvernemens, la demande de la France et la réponse de la Suisse portaient un caractère de vivacité dans lequel l’opinion, prompte à s’inquiéter, avait pu voir d’abord le germe d’un conflit international. M. de Fénelon réclamait du gouvernement fédéral l’engagement formel d’accorder l’expulsion de tous les réfugiés que la légation de France se croirait en droit de désigner, à quelque catégorie qu’ils appartinssent. Le conseil fédéral répliqua que, s’il ne refusait pas d’obtempérer à la demande qui lui était faite, il violerait de la manière la plus grave la constitution, et manquerait à tous ses devoirs envers le pays. Tout en revendiquant le principe de l’hospitalité, le gouvernement helvétique s’est néanmoins empressé de reconnaître qu’il ne pouvait pas en protéger l’abus. Dans une seconde note, la France parait s’être attachée à atténuer ce que la forme de la première avait de trop impérieux. On ne doute point qu’à ces dispositions, plus conciliantes la Suisse ne réponde par des concessions qui, sans lui imposer un sacrifice de dignité, seront de nature à rassurer le gouvernement français sur la situation des réfugiés. Le conseil fédéral fait intervenir à Genève même l’autorité de ses avis pour écarter les obstacles que le mauvais vouloir du gouvernement local pourrait apporter à la solution de ce différend. D’autre part, l’esprit de conciliation que le chargé d’affaires de Suisse à Paris, le colonel Barman, a apporté dans ces négociations n’aura pas peu contribué à l’heureux résultat auquel elles vont aboutir.

La question des Israélites n’a jamais eu la gravité que celle des réfugiés semblait devoir prendre. Évidemment, la Suisse comprend elle-même l’espèce de contradiction introduite dans sa constitution politique, qui, très libérale sur tous les points, exclut cependant les Juifs du territoire fédéral. Le gouvernement helvétique produit, pour justifier cette rigueur de la loi publique, deux