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sûre. Ce sont là les bénéfices de l’assimilation, très supérieurs assurément aux charges qui en résultent ; mais ces charges sont justement de celles que les passions locales ressentent le plus vivement. Tel est l’établissement des impôts communs, tel est l’assujettissement à la conscription militaire, dont les Sardes étaient à peu près exempts. Le droit de représentation parlementaire, le droit de pétition, pas plus que celui de publier des journaux, n’ont le pouvoir de déraciner subitement les habitudes, de transformer la vie morale d’une population, de développer l’industrie et le travail privés. L’état reste encore, dans une proportion énorme, propriétaire du soi. On voit ce que les excitations peuvent sur des élémens de ce genre. Les troubles récens ne sont qu’un symptôme de cette situation intérieurement anarchique que la régularité extérieure de la vie constitutionnelle n’a fait que rendre plus sensible. Quelles sont les instigateurs des désordres qui viennent d’avoir lieu ? L’instruction judiciaire le dira plus amplement sans doute. Toujours est-il qu’au point de vue politique le parti révolutionnaire n’y paraît point étranger, et c’est un motif de plus pour que cette affaire préoccupe à juste titre le gouvernement, le parlement et la presse de Turin.

Au fond, la question de l’état de l’île de Sardaigne est maintenant une question propre à tous les cabinets qui se succéderont en Piémont ; c’est une question de temps. Il s’est élevé récemment un autre incident dont la portée politique ne saurait échapper. C’est au parlement que s’est produit cet incident qui met en jeu une question grave d’intérêt public, et décèle un travail secret des partis d’où peuvent sortir des combinaisons inattendues. Un projet de loi avait été soumis aux chambres, demandant un crédit de 3 millions pour la fortification de Casale. L’existence même du cabinet se trouvait presque engagée sur cette proposition. Le projet n’a passé qu’à deux voix de majorité. De là un mouvement de susceptibilité assez explicable chez le ministre de la guerre, le général La Marmora, qui a immédiatement offert sa démission. La retraite du général La Marmora allait infailliblement entraîner une dissolution totale ou partielle du cabinet, et à la suite des complications dont on ne pouvait mesurer l’étendue. Le ministre de la guerre piémontais l’a senti sans doute, et c’est là ce qui l’a engagé à retirer sa démission sur les instances de ses collègues, d’autant plus que l’opinion de ceux-ci, de M. d’Azeglio surtout, ne différait en rien de la sienne sur l’état militaire du Piémont. C’est là, en effet, la question d’intérêt public dont nous parlions, et qui se trouvait engagée dans l’affaire des fortifications de Casale. L’état militaire du Piémont absorbe une somme considérable sur son budget. D’un autre côté, il règne dans les chambres piémontaises une préoccupation assez vive de la situation financière du pays et de la nécessité de réaliser des économies. C’est sur l’armée que pourraient surtout porter les économies ; l’armée cependant est nécessaire au Piémont, non-seulement en vue des questions extérieures qui peuvent surgir, mais encore pour sa défense intérieure contre les factions révolutionnaires ; elle est, pour tout dire, le bouclier de l’ordre public. Il ne s’est néanmoins trouvé dans la chambre des députés qu’une majorité de deux voix pour trancher cette question. On ne sait encore quel sera le vote du sénat. Ce résultat ne s’explique que par les évolutions qui se sont accomplies dans les partis depuis quelque temps. Déjà, à la fin de la session dernière, on avait pu remarquer