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commerciale des dernières années. Aussi, après avoir annoncé qu’il frapperait simplement d’un droit fixe les céréales, a-t-il renoncé à cette idée, déjà très modérée par rapport aux anciennes prétentions des protectionistes ; il a déclaré qu’il se bornerait, sans rien changer à la politique commerciale actuelle, à porter toute son attention sur l’état de l’agriculture. Puisse-t-il trouver le moyen d’unir ces deux grands intérêts rivaux !

Si la vie parlementaire est en suspens quelque part, ce n’est point à coup sûr à Turin. Il y a quelques jours seulement, une session finissait après une discussion des plus graves sur la plus difficile des questions qui s’agitent dans un pays libre, celle de la presse ; elle se terminait par le vote d’une loi d’intérêt pratique qui crée des communications de télégraphie électrique avec l’Autriche par Novarre, en attendant que ces mêmes communications s’établissent avec la France, dont le gouvernement vient en ce moment même, pour sa part, de décréter une pareille ligne de correspondance jusqu’à la frontière sarde. À peine cette session législative était-elle close, qu’une autre s’ouvrait. La session de 1852 était inaugurée le 4 mars par le roi Victor-Emmanuel. Deux choses seulement sont à remarquer dans le discours très constitutionnel du roi de Sardaigne, — l’assurance des rapports réguliers et bienveillans qui continuent à exister entre le Piémont et les autres pays, et l’indication de quelques lois civiles d’un ordre supérieur et délicat, qui paraissent devoir être prochainement présentées aux chambres. Voici donc le parlement piémontais, à quelques jours d’intervalle, continuant ses travaux et exerçant son action dans la politique du pays.

Mais ceci n’est que le côté officiel, extérieur d’une situation qui n’est point sans avoir ses difficultés, ses crises latentes. Le Piémont a vu se produire dans ces récentes semaines divers incidens d’une gravité suffisante. Le premier, c’est l’espèce d’échauffourée qui a éclaté dans l’île de Sardaigne. L’état de siége a été proclamé par le général Durando. Une instruction se poursuit sur les causes et les circonstances de cette agitation, qui s’est manifestée sous le plus futile des prétextes, pour une question de masques et de carnaval. La réalité est plus sérieuse que le prétexte. Le royaume piémontais, comme on sait, se compose d’une partie de terre ferme et de l’île de Sardaigne. Nous ne voulons point dire que cette dernière soit une Irlande pour le Piémont ; mais enfin il y a là cette difficulté permanente de situation qui naît de l’adhérence politique de deux portions d’un même pays long temps soumises à des régimes très différens, à des conditions de civilisation fort inégales ; il y a ce qu’on nomme au-delà des Alpes une question de Sardaigne. Jusqu’aux dernières révolutions, l’île de Sardaigne avait conservé son organisation, son existence propre. Constitution féodale de la propriété, dîmes, privilèges communaux, servitudes, immunités locales, tout cet ensemble social survivait ; joignez à ceci les habitudes invétérées de vagabondage, l’absence d’industrie suffisante, l’ignorance, l’anarchie intérieure propre à une population grossie souvent d’élémens impurs. C’est là, par exemple, que se réfugiaient traditionnellement les bandits corses traqués de trop près. Ce n’est que depuis 1848 que l’assimilation politique et administrative de l’île au reste du royaume a été prononcée. L’île envoie aujourd’hui ses députés à la chambre de Turin ; elle a une administration civile plus régulière, semblable à celle de la terre ferme ; la justice y est plus