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l’honorent même comme un moyen légitime et puissant d’étude et d’investigation, elle sert merveilleusement ceux qui viennent après eux, elle leur laisse des questions éclaircies et débattues jusque dans leurs plus obscurs détails, des intérêts mis en lumière, des solutions toutes prêtes et un public familiarisé par une sorte d’expérience anticipée avec les tentatives de réalisation qui peuvent se produire. Ce que nous voulons dire, c’est que le régime nouveau a pu puiser largement dans cette grande et permanente enquête ouverte sur tous les intérêts en France depuis trente ans. Sans cela, comment aurait-on pu résoudre subitement tant de questions qui touchent aux finances, au crédit publié, à l’organisation administrative, à l’industrie, à la bienfaisance, aux institutions pénales ? Reste, il est vrai, le mérite du choix, et nous n’entendons point le diminuer. Quelque imprévues qu’aient pu être les conditions politiques où ces transformations se sont accomplies, nous ne nous refusons nullement à reconnaître que beaucoup ont un caractère de juste utilité, et réalisent des améliorations véritables. La meilleure preuve que nous en puissions avoir, c’est que l’une de ces créations nouvelles fournit en ce moment même à des hommes éminens l’occasion de rentrer, en dehors de toute considération politique et selon la mesure aujourd’hui possible, dans le champ de l’action publique ; telle est la société de crédit foncier qui vient de se former à Paris. Qu’on nous permette de l’ajouter : ce n’est point peut-être le plus mauvais moyen de servir le pays que de s’attacher à cet ordre de questions pratiques. La France a subi des désastres politiques, chacun en a suffisamment conscience ; elle en peut subir encore, cela est malheureusement vrai. Si quelque chose peut en pallier les effets ou en conjurer les retours, n’est-ce point de travailler activement au développement des intérêts réels, permanens, moraux ou matériels du pays ? C’est là la plus efficace sauvegarde contre les surprises, les entraînemens et les déceptions ; c’est la puissance effective et salutaire qui, empêche les révolutions de passer, quand elles cherchent à s’introduire dans la société, et qui, en offrant aux gouvernemens une base stable, leur demande en échange une politique intelligente et juste.

L’approche de la réunion du corps législatif n’a point empêché le gouvernement, dans ces dernières semaines, de poursuivre jusqu’au bout la série de mesures dont il avait la pensée, et en première ligne figurent assurément la promulgation du budget de l’année courante et le décret de décentralisation administrative. Ce que nous voudrions remarquer dans le budget, ce sont les points par lesquels il diffère de ceux qui l’ont précédé. La création du ministère d’état et de celui de la police générale, la réunion du ministère de l’intérieur et du ministère du commerce, entraînaient nécessairement des attributions nouvelles de dépenses. Dans l’ensemble, l’innovation est peu sensible ; elle n’apparaît en réalité que dans les modifications dont l’impôt des boissons a été l’objet, et, dans ces modifications elles-mêmes, ce qui nous touche particulièrement, nous l’avouons, c’est ce qui peut avoir un effet moral sur les populations. En abaissant le droit d’entrée et en élevant le droit de vente au détail, le gouvernement a eu la pensée de favoriser la consommation de la famille et de paralyser la consommation du cabaret, ou du moins de la rendre plus onéreuse. Il fait payer à la taverne ce dont il dégrève le foyer. Quelque juste et morale que soit cette pensée, il serait téméraire de croire que les ivrognes vont