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voyons ce même Oreste qui a figuré dans nos récits devenir maître des milices de l’empereur Népos, puis le déposer et proclamer auguste son propre fils encore dans l’enfance, Romulus, qu’on appela le petit Auguste, Augustule. Les Ruges, les Scyres, les Turcilinges, somment alors ce secrétaire d’Attila de leur partager l’Italie, et, sur son refus, Odoacre s’en charge. Le tiers du territoire italien est distribué aux anciens soldats d’Attila ; la dignité d’empereur est supprimée comme une fiction inutile, et Odoacre prend le titre de roi d’Italie. L’histoire nous montre ensuite derrière lui, comme son meurtrier et son successeur, le grand Théodoric, fils du roi ostrogoth Théodémir, un des capitaines du roi des Huns : le nom d’Attila plane sur toute cette transformation de l’Italie.

Dans l’Europe orientale, son esprit anime encore les tronçons de l’empire des Huns ; plusieurs de ses fils se montrent vaillans hommes, et sa gloire ouvre aux derniers bans des nations hunniques un chemin facile vers le Danube. Elles s’y succèdent pendant trois siècles, presque d’année en année, sous les noms d’Outourgours, Koutrigours, Avares, Bulgares, Khazars, jusqu’à ce qu’enfin les Hunnugares ou Oungri, les Hongrois de nos jours, fondent, vers le milieu du VIIIe siècle, dans l’ancienne Hunnie, un noble et puissant état qui a pris une place glorieuse dans la société européenne.

Tel est l’Attila de l’histoire. J’ose me flatter d’avoir épuisé ici, pour en esquisser le portrait, tous les documens réellement historiques qui concernent ce Barbare, le plus grand de ceux qui apparurent au déclin de l’empire romain ; mais, par cela même qu’il fut grand et qu’il laissa une trace profonde dans les événemens de son siècle, ce Barbare a occupé long-temps après lui l’imagination des peuples. Barbares et Romains se sont complu à le poétiser sous des aspects différens, et le roi des Huns s’est trouvé dans le moyen-âge l’objet d’autant de traditions et de contes qu’Alexandre et César, le héros d’autant de poèmes que Charlemagne. Il est curieux de comparer ces traditions entre elles, soit qu’elles viennent des pays romains, soit qu’elles appartiennent aux nations germaniques, soit qu’elles découlent des souvenirs domestiques de la race magyare ; il est intéressant surtout de les rapprocher des données positives de l’histoire. J’offrirai prochainement aux lecteurs de la Revue le résultat d’un pareil travail.


AMDEE THIERRY.