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balançait en lui les anxiétés de la crainte et les calculs de la raison. Il donna ordre à ses troupes de se concentrer au-dessous de Mantoue, près du confluent du Pô et du Mincio, sur la grande voie qui conduisait à Rome par les Apennins : lui-même arriva au rendez-vous, encore incertain de ce qu’il déciderait.

Le projet d’Attila, confirmé par le mouvement de l’armée hunnique, répandit l’épouvante dans Rome, qui ne se savait pas elle-même si redoutable. L’empereur, le sénat et le peuple, qui fut consulté pour cette fois, s’accordèrent dans la pensée qu’il fallait s’humilier devant le conquérant barbare, et obtenir à tout prix qu’il ne marchât pas sur la ville supplications, présens, offre d’un tribut pour l’avenir, on résolut de tout employer plutôt que de courir la chance d’un siége. Rome jadis refusa de traiter lorsque l’ennemi était à ses portes : aujourd’hui elle se hâtait de le faire avant que l’ennemi s’y présentât. « Dans tous les conseils du prince, du sénat et du peuple romain, dit avec une amère raillerie le chroniqueur Prosper d’Aquitaine, témoin des événemens, rien ne parut plus salutaire que d’implorer la paix de ce roi féroce. « Le silence de l’histoire justifie du moins Aëtius de toute participation à un acte aussi honteux. À la tête de son armée et méditant, selon toute apparence, le plan de défense des Apennins, le patrice s’occupait de sauver Rome : elle ne le consulta pas pour se livrer. Cependant, afin de couvrir autant que possible l’ignominie de la négociation par l’éminence du négociateur, on choisit pour chef de l’ambassade le successeur même de saint Pierre, le pape Léon, auquel furent adjoints deux sénateurs illustres, dont l’un, nommé Gennadius Aviénus, prétendait descendre de Valérius Corvinus, et, suivant l’expression de Sidoine Apollinaire, « était prince après le prince qui portait la pourpre. »

Léon, que l’église romaine a surnommé le Grand, et l’église grecque le Sage, occupait alors le siége apostolique avec un éclat de talent et une autorité de caractère qui imposaient même aux païens. Les gens lettrés le proclamaient, par un singulier abus de langage, le Cicéron de la chaire catholique, l’Homère de la théologie et l’Aristote de la foi ; les gens du monde appréciaient en lui ce parfait accord des qualités intellectuelles que son biographe appelle, avec un assez grand bonheur d’expression, « la santé de l’esprit, » savoir : une intelligence ferme, simple et toujours droite, et une rare finesse de vue, unie au don de persuader. Ces qualités avaient fait de Léon un négociateur utile dans les choses du siècle, en même temps qu’un pasteur éminent dans l’église. Il n’était encore que diacre, lorsqu’en 440 il plut à la régente Placidie de l’envoyer dans les Gaules pour apaiser, entre Aëtius et un des grands fonctionnaires de cette préfecture nommé Albinus, une querelle naissante, qui pouvait conduire à la guerre civile et embraser tout l’Occident. Léon, arrivé avec la seule recommandation de sa personne,