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de pêcheurs, de marins et de saulniers. Voici en quels termes Cassiodore, au nom de Théodoric-le-Grand, écrivait à ces ancêtres des doges pour leur ordonner de convoyer de l’huile et du vin des ports de l’Istrie à Ravenne ; ce curieux spécimen des circulaires ministérielles du Ve siècle est le plus ancien titre de noblesse des fiers patriciens de Venise :


« AUX TRIBUNS DES HABITANS DES LAGUNES.

« Nous aimons à nous représenter vos demeures qui touchent au midi Ravenne et les bouches du Pô, et qui jouissent à l’orient de l’agréable spectacle des rivages ioniens. La mer, par un mouvement alternatif, les entoure et les abandonne ; tantôt elle couvre la plage, et tantôt elle la découvre. Vos maisons ressemblent à des nids d’alcyons, vos villages à des écueils faits de main d’homme, car c’est vous qui les créez, ou du moins vous en exhaussez le sol au moyen de terres apportées du continent, et que vous retenez par des claies d’osier, ne mettant que ce frêle rempart entre vous et l’effort des eaux… Le poisson forme à peu près toute votre subsistance. En aucun lieu du monde, on ne voit la richesse et la pauvreté vivre sous une loi plus égale que parmi vous : même nourriture pour toutes les tables, même toit de chaume pour toutes les familles. Chez vous, le voisin ne jalouse pas les pénates du voisin, et, grace à la commune nature de vos biens, vous échappez à l’envie, qui est un des grands fléaux d’ici-bas. L’exploitation des salines fait votre travail principal ; le cylindre du saulnier remplace dans vos mains la charrue du laboureur et la faux du moissonneur, car le sel est votre culture et votre récolte… Or donc, radoubez sans perdre un instant ces navires que vous attachez aux, boucles de vos murs comme des animaux domestiques, et lorsque le très expérimenté Laurentius, que nous avons chargé de réunir en Istrie des provisions de vin et d’huile, vous avertira de partir, accourez tous à son appel. »


La Vénétie fut mise à feu et à sang, puis les Huns passèrent dans la Ligurie, qu’ils ne traitèrent pas plus doucement. L’histoire ne cite comme ayant été saccagées que deux villes de cette dernière province, Milan et Ticinum, à présent Pavie ; la tradition locale les cite presque toutes, et malheureusement elle a pour elle la vraisemblance. Ainsi on peut croire que Vérone, Mantoue, Brescia, Bergame, Crémone, n’échappèrent pas à la destruction ou du moins au ravage. Les villes situéees au midi du Pô eurent beaucoup moins à souffrir, attendu que différens corps de l’armée romaine y battaient le pays, et qu’Attila contenait par prudence la masse de ses troupes au nord du fleuve. Son séjour à Milan fut signalé par une aventure que l’histoire n’a pas dédaigné de recueillir, et où perce l’esprit moqueur et fier du roi des Huns. Il avait remarqué, en parcourant la ville, une de ces peintures murales dont les Romains aimaient à décorer leurs portiques, et s’arrêta pour l’examiner. Le tableau représentait deux empereurs majestueusement assis sur des trônes dorés, le manteau de pourpre sur