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épuisaient et décimaient ses troupes. Trois grands mois s’écoulèrent dans ce travail impuissant ; les chaleurs se faisaient déjà sentir, et la campagne, livrée à une dévastation continuelle, ne fournit bientôt plus ni fourrages ni vivres. Cependant on apprenait que les secours demandés par Aëtius à l’empereur d’Orient venaient de débarquer dans le midi de l’Italie ; le bruit se répandit même que l’empereur Marcien, ne voulant pas borner là son assistance, préparait une descente en Pannonie et menaçait la retraite des Huns. Enclins au découragement quand il leur fallait se battre contre des murailles, les Barbares s’épouvantaient au souvenir des désastres qui avaient accompagné le siège d’Orléans, et, chose étonnante dans l’armée d’Attila, le camp retentissait de plaintes et de murmures. Celui-ci, impatient et blessé dans son orgueil, ne savait plus que résoudre. Poursuivre sa marche à travers l’Italie en laissant Aquilée derrière lui, c’était une imprudence qui pouvait le perdre ; s’avouer vaincu en se retirant sans avoir ni pillé ni combattu, c’était une honte qu’il n’osait pas affronter à tout prix, il lui fallait Aquilée. Un incident que tout autre eût négligé la lui livra en imprimant au courage des Huns un élan nouveau et en quelque sorte surnaturel.

Un jour qu’en proie à ses anxiétés il se promenait autour des murs en étudiant l’état de la ville, il vit des cigognes s’envoler avec leurs petits d’une tour en ruine, où elles avaient niché, et gagner au loin la campagne, portant les uns sur leur dos et guidant le vol des autres, qui les suivaient en hésitant. Attila s’arrêta quelques momens pour observer ce manége, puis, se tournant vers ceux qui l’accompagnaient : « Regardez, dit-il, ces oiseaux blancs ; ils sentent ce qui doit arriver : habitans d’Aquilée, ils abandonnent une ville qui va périr ; ils désertent, dans la prévoyance du péril, des tours condamnées à tomber. Et ne croyez pas que ce présage soit vain ou incertain, ajouta-t-il ; la terreur d’un danger imminent change les habitudes des êtres qui ont le pressentiment de l’avenir. » Ces paroles, prononcées à dessein, furent bientôt répétées dans tout le camp. Attila avait frappé juste : l’espèce d’autorité surhumaine dont il savait se fortifier dans les grandes circonstances agit encore cette fois sur des esprits découragés. Aussitôt une nouvelle ardeur transporte les Huns ; ils construisent des machines, ils essaient tous les moyens de destruction, ils multiplient les escalades, et enlèvent enfin la ville, qu’ils pillent et dont ils se partagent les dépouilles. Leurs ravages furent si cruels, écrivait Jornandès un siècle après, qu’à peine reste-t-il aujourd’hui quelques vestiges de cette malheureuse cité comme pour indiquer la place qu’elle occupait. Le viol se mêla, dans cette horrible journée, à l’extermination et au pillage. L’histoire conserve le souvenir d’une jeune et belle femme appelée Dougna on Digna, qui, se voyant poursuivie par une troupe