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romain, et se souvenant qu’ Alaric n’avait eu si bon marché de celle-ci que par la nécessité où se trouvaient les légions de garder l’autre, il se décida à sacrifier Ravenne et transporta Valentinien à Rome, dont il fit réparer les murailles. En même temps il concentra ses forces en-deçà du Pô, à l’exception des garnisons de quelques villes importantes telles qu’Aquilée, abandonnant dès le début l’Italie Transpadane à ses propres ressources. C’était à peu près le plan qu’il avait suivi dans la campagne des Gaules : il plaçait sa ligne d’opérations au midi du Pô, comme il l’avait mise alors au midi de la Loire.

Pendant tous ces débats, Attila s’avançait à grandes journées. Parti de sa résidence en plein hiver, il prit le chemin le plus direct et le plus commode pour une armée, la route d’étapes des légions de Sirmium à Aquilée, ligne principale de communication entre Rome, et Constantinople. Cette route passait par les villes d’Émone et de Nauport, aujourd’hui Laybach et Ober-Laybach. Au midi de Nauport commençait l’ascension des Alpes Juliennes, que dominait le poste du Poirier, ainsi nommé de quelque poirier sauvage semé là par la nature au milieu des rocs et des tempêtes. Au pied de la descente, sur le versant italien, était établi un camp permanent, bordé par le torrent de Wipach, alors appelé la Rivière Froide : ce camp et le défilé du Poirier formaient la clôture des Alpes Juliennes. C’est là que, cinquante-sept ans auparavant, avait été livrée, par Eugène et Arbogaste, à Tliéodose arrivant d’Orient, la fameuse bataille qui décida du double triomphe du catholicisme et de la seconde maison flavienne dans tout l’empire. Maintenant ce camp était désert. Les Italiens, qui trouvaient encore des bras pour la guerre civile, n’en avaient plus contre l’invasion étrangère.

À vingt-deux milles du camp de la Rivière Froide coulait le torrent de l’Isonzo, alors nommé Soutins, qui, plus d’une fois, avait servi da barrière dans les guerres intestines de Rome : Attila le traversa sans coup férir. Du pont de l’Isonzo jusqu’aux murs d’Aquilée s’étendait une campagne ouverte, toute plantée d’arbres et de vignes, dont les longues files s’alignaient en berceaux. La fertilité de la Vénétie, la mollesse de son climat, la précocité de ses printemps, étaient célèbres chez les anciens : « Au premier souffle de l’été, dit un historien romain, on voyait tout ce pays se couronner de fleurs et de pampres comme pour une fête. » L’armée des Huns n’y laissa après elle que des débris et des cendres. Ce fut aux remparts d’Aquilée qu’Attila rencontra sa première résistance.

Aquilée, la plus grande et la plus forte place de toute l’Italie, servait de boulevard à cette presqu’île sur le point le plus vulnérable, où la menaçaient tantôt les incursions subites des Barbares du Danube, tantôt les entreprises mieux calculées des empereurs de Constantinople. Le fleuve Natissa en baignait tout le côté oriental, et, versant une