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rue de Rivoli. La seule modification apportée à cet état de choses résultera de la suppression du décime sur le principal de l’octroi. En ce qui concerne spécialement les vins, le bénéfice sera au plus de 88 cent. pour 100 litres. Autant n’en pas parler. Ce dégrèvement du dixième s’éparpillera encore d’une manière insensible sur une soixantaine d’autres articles. Ne vaudrait-il pas mieux l’appliquer à un seul objet, tel que les vins ?

En définitive, les modifications apportées à l’impôt des boissons, une seule exceptée, sont évidemment bonnes. On ne peut qu’approuver la restriction du privilège des propriétaires, la réduction des droits d’entrée, le dégrèvement sur les octrois, et surtout la facilité des achats par 25 litres ; mais la surtaxe du droit de détail nous semble une disposition regrettable ; il est à craindre qu’elle ne détruise, pour les petits consommateurs, le bénéfice des autres mesures. Nos prévisions à ce sujet ne sont-elles pas confirmées par les calculs du ministre ? Après avoir perdu environ 3 millions sur les entrées et autant sur les octrois, le trésor réalisera, nous dit-on, une plus-value de 6 millions sur le produit actuel. Cela n’indique-t-il pas que l’on espère un accroissement de 12 millions sur le droit de détail ? Ces 12 millions sortiront des plus petites bourses. L’impôt sur les boissons, composé par un agencement de plusieurs taxes, n’est pas comparable aux impôts de douane, qui deviennent productifs à mesure qu’on abaisse les tarifs. Si les classes nécessiteuses parviennent à s’approvisionner en gros, il y aura perte considérable sur le droit de détail ; si au contraire ce droit est destiné à devenir plus productif encore que par le passé, c’est que les pauvres n’auront pas échappé à cette fatalité qui les pousse au cabaret.

De l’aveu des hommes les plus expérimentés, ce dernier résultat est, hélas ! le plus probable. Sept directeurs des contributions indirectes entendus dans l’enquête déclarent unanimement que la liberté d’acheter par 25 litres n’est pas suffisante pour modifier les habitudes des ouvriers[1], et que cette concession est de nature à compromettre le droit de détail, en rendant beaucoup plus difficile la surveillance de la régie. Les réformes fiscales sont toujours des opérations très complexes :

  1. Il est bon de reproduire textuellement les réponses des sept directeurs des contributions indirectes, qui d’ailleurs, en désapprouvant la mesure dans l’intérêt fiscal, l’ont votée dans un esprit d’équité : M. Guibert (du Puy-de-Dôme) : « Je suis pour la réduction à 25 litres, mais je suis persuadé que les ouvriers n’en profiteront pas. » M. Bergerot (Seine) : « Je pense, comme mon collègue, que les familles pauvres n’en profiteront pas. » - M. Ruelle (Gironde) : « La concession sera sans résultat, et les inconvéniens resteront seuls. » M. Gresse (Côte-d’Or) et M. Bouillon (Ille-et-Vilaine) se prononcent à peu près dans les mêmes termes. Enquête de 1851 sur l’impôt des boissons, tome Ier, p.153.