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venait d’être revêtu ne parût lui assigner un rang trop élevé dans’ l’opinion publique et que l’on ne jugeât Vernet indigne de figurer à côté de Lajoue, de Lebel, de Lenfant et autres académiciens de pareille force. Lui cependant ne se laissa pas décourager un moment par cet échec inattendu. En s’avouant à lui-même qu’il avait dépassé le but, il se dit qu’il n’avait pas fait fausse route ; il sentit que ce que l’on prenait pour une preuve de décadence de son talent n’était que le signe de sa transformation, une promesse encore imparfaite de ses progrès, et, redoublant de zèle et de juste confiance en lui-même, il entreprit et mena à fin en moins de dix années l’immense travail pour l’exécution duquel le roi l’avait appelé en France.

Les quinze tableaux dont se compose la suite des Ports du royaume montrent dans son vrai jour la seconde manière de Vernet. Ici la simplicité du style ne dégénère plus en sécheresse, la recherche de la vérité n’aboutit plus à la négation du sentiment, et la facilité spirituelle, les commentaires ingénieux, le goût particulier du traducteur, n’ôtent rien à la fidélité de la traduction. Il n’est personne qui n’ait eu souvent sous les yeux ces toiles célèbres ou les estampes qui les reproduisent ; on est tellement habitué à voir les unes ou les autres, que l’on se donne rarement la peine de les examiner, et nous oublions d’y apprécier les difficultés que l’artiste a eu à vaincre, parce que le résultat de la lutte nous est trop familier. Il semble qu’il n’eût pas été possible de s’y prendre autrement. Ne s’agissait-il pas, en somme, de peindre des portraits ressemblans, et, les modèles une fois donnés, qu’avait à faire l’imagination dans un travail de cette espèce ? Cependant que l’on rapproche des Ports non-seulement les vues de même genre exécutées depuis, mais encore la plupart des tableaux de marine que les peintres de notre école moderne ont pu composer à leur gré, et l’on saura de reste à quoi s’en tenir sur le mérite, fort indépendant de la ressemblance, qui distingue ces prétendus portraits. Le caractère même des sites que Vernet avait à représenter lui interdisait l’emploi des effets violens et de tout moyen pittoresque qui n’impliquerait pas une idée de sécurité et d’abri ; il fallait nécessairement que les eaux fussent calmes, les navires immobiles ; on ne pouvait, en un mot, dissimuler la monotonie du fond qu’en variant infiniment les détails et en excitant un intérêt de curiosité à défaut d’intérêt dramatique : c’est à quoi Vernet a merveilleusement réussi. Que de fois, au contraire, ses successeurs n’ont trouvé que des redites ou des intentions vulgaires, lorsqu’ils ont eu à traiter des sujets exempts de pareilles entraves ! Libres d’imaginer l’ensemble d’une scène maritime, ils n’ont bien souvent consulté que leur palette, et, suppléant à l’inspiration par la science de la couleur, ils se sont contentés de dégrader habilement des tons là où il importait surtout d’émouvoir. En peignant un tableau de marine,