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dans la peinture de paysage, Joseph Vernet ait voulu commencer cette réforme générale par la réforme de sa propre manière. Le moment était solennel dans la vie du peintre : il sollicitait l’honneur d’entrer à l’académie de peinture, et le tableau qu’il allait lui offrir comme morceau de réception devait être à la fois un spécimen de sa propre habileté et le programme de l’art nouveau qu’il importait en France. On sait la marche qu’il fallait suivre pour arriver à obtenir le titre d’académicien et quelles prérogatives étaient attachées à ce titre. L’académie de peinture et de sculpture avait été créée par Louis XIV pour accoutumer le public à ne point confondre l’ouvrier avec l’artiste. Depuis lors, elle n’avait cessé de personnifier aux yeux de tout le monde l’art contemporain ; le nombre de ses membres étant illimité, il ne se rencontrait pas un homme de quelque mérite qui n’y fût un jour ou l’autre admis, et qui n’obtînt de la sorte le droit réservé aux seuls académiciens d’exposer ses ouvrages aux salons et de travailler pour le roi. Vernet lui-même, malgré la position exceptionnelle que sa célébrité semblait lui avoir déjà faite, n’aurait pu entreprendre les tableaux commandés par Louis XV sans avoir préalablement conquis une place au sein clé cette compagnie privilégiée. Quiconque aspirait à en faire partie donnait la mesure de sa capacité dans un morceau dit morceau d’agrément, puis l’auteur une fois agréé était tenu de produire dans le délai de trois ans un second ouvrage pour sa réception définitive. Cependant les agréés négligeaient quelquefois de se conformera cette loi, et alors ils ne pouvaient prendre rang parmi les académiciens. Quelquefois aussi des artistes d’une habileté reconnue étaient reçus d’emblée ; c’est ce qui eut lieu pour Vernet : on le dispensa de la première épreuve, et il lui suffit, pour être élu membre de l’académie, de présenter un seul tableau. Celui qu’il fit à cette occasion, et que possède aujourd’hui le musée du Louvre, témoigne de ses efforts pour achever de débarrasser son style de tout ornement fastueux ; mais il témoigne aussi d’une autre sorte d’affectation, l’affectation de la simplicité. En choisissant pour sujet de son morceau de réception la Vue d’un port de mer par un soleil couchant, Vernet, qui jusque-là n’avait guère envoyé à Paris que des Naufrages et des Tempêtes, prétendait montrer son talent sous une face nouvelle et indiquer en même temps à ceux qui seraient tentés de l’y suivre une voie rigoureusement tracée et aplanie ; or il l’avait rendue aride à force de retranchemens, et il ne réussit encore à y entraîner personne. La Vue d’un port de mer n’obtint et ne devait obtenir en effet qu’un succès médiocre. On s’attendait à tout autre chose de la part d’un homme auquel on attribuait surtout des qualités de verve et d’imagination, et, le premier moment de surprise passé, on n’hésita plus à accuser de froideur et d’impuissance ce talent naguère si vanté et si universellement applaudi. Peu s’en fallut que le titre dont l’artiste