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choses : une reculade et une vengeance. Ce manifeste de M. Disraéli peut être considéré comme le manifeste du gouvernement. Le ministère désavoue ainsi ses propres principes la veille des élections ; sur quels principes s’appuiera-t-il donc pour demander au pays la majorité, sur quelle base s’appuieront les élections prochaines, le free trade et la protection n’étant plus en cause ? Certes on ne peut se dissimuler qu’une telle situation a quelque chose de louche, et qu’elle manque de netteté comme de franchise.

La Suisse n’a point cessé d’être absorbée dans la lutte ouverte depuis long-temps entre le radicalisme et les élémens conservateurs de ce pays. Le théâtre change, passe d’un canton à l’autre, les phases varient : au fond, le combat est le même. Du reste, c’est un des plus intéressans spectacles que celui de ce petit pays, si essentiellement sensé et si profondément troublé un moment, luttant avec lui-même, travaillant à s’affranchir de la domination révolutionnaire par la seule autorité de la justice et du bon sens, et à reconquérir des conditions meilleures. Il y a quelques jours, c’était à Berne que le radicalisme essuyait une défaite signalée qu’il avait provoquée lui-même par la question soumise au peuple sur la révocation du grand-conseil ; aujourd’hui, c’est à Fribourg qu’il est sérieusement menacé, avec cette différence qu’ici le radicalisme est au pouvoir, où il se défend avec toutes les armes à son usage contre le mouvement chaque jour plus prononcé de l’opinion. Le canton de Fribourg est un de ceux que la faction révolutionnaire a le plus audacieusement et le plus cyniquement exploités dans ces derniers temps, et ce qu’offre de particulier sa domination dans cette partie de la Suisse, c’est qu’elle a, plus qu’ailleurs encore, le caractère d’une conquête véritable, qui a livré à une minorité violente la majorité du pays. Ce sont les armes fédérales qui, en 1847, à l’époque du Sonderbund, ont frayé aux radicaux de Fribourg la route du pouvoir ; c’est la force qui a maintenu la légalité léonine qu’ils ont créée. Arrivés au pouvoir, ils ont commencé par faire une constitution qui leur assurait le gouvernement pour neuf années, et non-seulement ils se sont très soigneusement dispensés de soumettre cette constitution à la sanction du peuple, selon la pratique ordinaire du droit public en Suisse ; mais ils ont encore attaché à l’électorat la condition d’un serment qui répugnait invinciblement à la masse des habitans de Fribourg. C’était un habile moyen d’éloigner du scrutin toute opposition légale. Cette tactique a réussi un moment ; les radicaux sont restés maîtres du canton. Persécutions religieuses, confiscations, extorsions fiscales, contributions de guerre frappées sur les prétendus fauteurs du Sonderbund, exils, suspension des droits des citoyens, rien n’a été négligé pendant ces quelques années. La majorité d’un pays finit évidemment par se lasser d’un tel régime. Les habitans de Fribourg se sont adressés plusieurs fois aux autorités fédérales, mais sans succès ; aujourd’hui, par un simple mouvement tout pacifique, ils ont porté un coup décisif au radicalisme fribourgeois. Une assemblée populaire tenue il y a quelques jours à Posieux est venue révéler la force de l’opinion conservatrice. Les radicaux de Fribourg ont bien senti le danger de cette réunion ; ils ont cherché à l’empêcher ; ils ont fait arrêter les principaux chefs conservateurs ; ils ont fait couper les ponts pour détourner les populations ; ils ont fait camper leurs soldats et leur artillerie mèche allumée. L’assemblée n’en a pas moins eu lieu au jour indiqué sans aucun incident illégal, et toutes ces populations se sont réunies dans un sentiment commun