Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/1221

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prend garde, un de ces cabinets destinés à pousser à bout les situations, à compromettre les opinions mêmes qu’ils représentent dans ce qu’elles ont de sensé et de légitime, et à ne s’arrêter que devant l’explosion des répulsions universelles. Ces répulsions qui ont déjà commencé à se manifester grandiront infailliblement, et il pourra en sortir une agitation très périlleuse et très redoutable, tandis que ces difficultés n’auraient pas même de raison d’être avec un cabinet plus animé du vieil esprit d’union et de conciliation qui est la garantie la plus sûre de la Belgique. Au reste, ces complications intérieures se dessineront plus nettement sans doute quand le cabinet de Bruxelles se présentera devant les chambres renouvelées. Et qu’on remarque à un autre point de vue la singularité de la situation du ministère belge : dans les négociations avec la France pour le traité de commerce, il se trouve avoir à défendre les intérêts de la Flandre et du Hainaut, qui viennent de le désavouer en lui retirant la première huit voix, le second trois. Il résulte de tout cela évidemment que si le cabinet du roi Léopold n’est pas immédiatement menacé, il a du moins plus d’une difficulté à surmonter.

En Angleterre, les séances du parlement continuent à être aussi stériles que par le passé. Cette stérilité tient à l’état de confusion des partis, qui n’ont jamais été très nettement dessinés dans ce parlement, aujourd’hui près de sa fin. Toutes les séances restent vides, malgré le nombre des questions qui les encombrent, — affaire du séminaire de Maynooth, bill sur la Nouvelle-Zélande, bill pour l’extradition des criminels, etc. Les excentricités de M. Feargus O’Connor peuvent composer un intermède agréable, mais elles ne donnent pas aux séances du parlement la physionomie sérieuse qui lui convient, et à l’expédition des affaires urgentes la rapidité nécessaire. De compte fait, le parlement, dans cette longue session, aura voté un seul bill, et quel bill ? le bill sur la milice, qui n’a pas été encore voté par la chambre des lords ! Cet état d’impuissance a frappé tous les yeux, et tout récemment sir James Graham s’est levé pour le déplorer avec amertume. Ce parlement aura vu tomber un cabinet whig qu’il était impuissant à soutenir, et s’inaugurer un cabinet protectioniste qu’il a toléré sans vouloir l’appuyer. Le nouveau parlement que les électeurs du royaume-uni vont nommer sera-t-il plus homogène, composé d’élémens moins confus ? Il faut l’espérer, quoique rien ne soit moins certain. Le cabinet de lord Derby réunira sans doute une grande majorité, mais les free traders reviendront plus décidés que jamais et peut-être même plus nombreux qu’autrefois. Les anciens amis de Robert Peel ne feront point un seul pas vers lord Derby : ils ont trop d’intérêt à rester séparés de lui ; ils concilient ainsi les bénéfices du pouvoir que ne peut manquer de leur remettre un parti protectioniste qui, désavouant la protection, reconnaît qu’ils ont raison, et les bénéfices de l’opposition soutenue par les radicaux libres échangistes. L’adresse de M. Disraéli à ses électeurs de Buckingham a dû faire tressaillir de joie sir James Graham et M. Gladstone. Dans cette adresse, où il fait ses derniers adieux à la cause de la protection, M. Disraéli reconnaît comme irrévocables les réformes de Robert Peel. Il ne traite pas le grand réformateur avec sa vivacité d’autrefois, il fait presque son apologie, et, comme il faut bien qu’il justifie d’une manière ou d’une autre son ancienne opposition, il trouve moyen d’insinuer que ce n’est point Robert Peel, mais lord John Russell et les whigs qui ont fait tout le mal. Cette adresse contient donc deux