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M. Villemain dans Lascaris : « Les Arabes attachaient leurs chevaux à ces colonnes, — qu’ils ne regardaient pas ! »

Toute la population d’Amsterdam était sur la place du marché lorsque la statue apparut dépouillée des voiles qui la couvraient depuis le 17 mai, époque de son installation. — On entendit sur la place un huzza colossal, que couvrit bientôt l’exécution à grand orchestre du chant national : Wien Neerlands bloed in d’aderen Vloeit… Il était midi et demi, le roi venait de paraître dans sa loge en costume d’officier de marine. Ce souverain a fort bonne mine sous l’uniforme, et se trouve parfaitement rendu dans un portrait de M. Pieneman, le célèbre peintre historique qui est à la tête aujourd’hui de l’école hollandaise. — Les honneurs de la fête étaient rendus au roi par les membres de la société Arti et Amicitiœ, qui avaient eu l’initiative de cette inauguration. Dans les Pays-Bas, où l’écorce monarchique couvre toujours un ancien fruit républicain, le gouvernement n’apparaît qu’à titre honoraire dans les fêtes de l’art, de la littérature ou de l’industrie. Le roi souscrit comme les autres, en raison de ses moyens.

La statue de Rembrandt n’a rien de la crânerie de celle de Rubens à Anvers. Je ne sais pourquoi les grands hommes de Hollande sont toujours représentés la tête penchée en méditant sur leurs œuvres. Érasme a le nez dans son livre ; Laurent Coster, à Harlem, songe à tailler des lettres de bois ; Rembrandt médite un chef-d’œuvre en croisant sur son ventre ses mains, dont l’une ramène un des coins de son manteau. Son costume de troubadour est varié d’une trousse dans le goût du XVIIe siècle et de souliers à bouffettes qu’on a pu porter en effet vers ce temps-là. — Sur le piédestal, on remarque les lettre R. V. R., Rembrandt van Rhyn, et l’on peut lire encore cette devise : Hulde van het nageschlacht (hommage de la postérité). Le statuaire s’appelle Royer, le même qui a modelé la statue de Ruyter.

Trois noms, Ruyter, Vondel et Rembrandt, brillaient partout en or sur les bannières. On m’a traduit les discours prononcés par les autorités. M. Scheltema, savant archiviste, s’est occupé beaucoup de rassembler des documens sur la vie de Rembrandt. Il a rappelé avec bonheur le souvenir d’une fête où, il y a juste deux siècles, le vieux Vondel fut couronné de lauriers par les associations de peintres et de sculpteurs. L’orateur a cherché ensuite à venger le grand artiste de diverses inculpations, qui réellement font du tort à notre pays, dans je ne sais quel article de la biographie Michaud. — Le discours du savant semblait calqué, à l’inverse, sur les argumens de l’inconnu qui a écrit cet article, dont nous ne savons même si nous devons être responsables. « On a accusé Rembrandt, a dit M. Scheltema, d’être avare et crapuleux (schraapzugtig.) » M. Scheltema a peut-être un peu trop vengé Rembrandt du reproche d’avoir fréquenté le bas peuple. Nous