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mais n’est-il pas permis de croire qu’il a puisé aussi ses inspirations ailleurs et vécu par momens dans une atmosphère plus pure ? Ses œuvres décèlent, à travers le factice qui en est la marque, un amour véritable des beautés naturelles. Le paysage n’y est pas toujours un fond sacrifié au relief et à l’éclat des figures. Il a quelquefois une sérénité ou une mélancolie dont le peintre n’aurait pu traduire ainsi l’impression s’il ne l’avait ressentie sur place, à ses heures de recueillement et de solitude, loin de Colombine et du théâtre. Souvent la vivacité étourdie des groupes qui s’ébattent au premier plan du tableau et la poésie calme des ombrages que l’on entrevoit au second forment entre elles une opposition étrange, et l’on a peine à dégager des contradictions qui les voilent l’intention secrète et le vrai caractère du génie de Watteau. Sans doute, si cet artiste charmant avait rencontré une époque et un milieu plus favorables à la rêverie, il aurait su donner aux formes de sa pensée l’unité et l’élévation qui leur manquent ; l’instinct qui le poussait à la recherche d’une certaine grace immatérielle se serait révélé dans des créations d’un autre ordre et participant davantage du sens mystérieux de la nature. Dépaysé comme il l’était au sein d’une école méthodique et raisonneuse malgré ses entraînemens et ses témérités de style, fils d’un siècle où l’on estimait surtout le positif, il a dû demeurer un fantaisiste inachevé, ne se comprenant qu’à demi lui-même et ne se développant qu’à demi.

Watteau et ses imitateurs subirent à leur tour le sort des peintres qu’ils avaient détrônés. Après la mort du jeune maître, le goût du paysage de fantaisie se maintint quelque temps en France, la mode fut encore aux effets d’opéra, à toutes les fantasmagories du pinceau ; mais, dès que Joseph Vernet eut essayé de combattre cette manie, il obtint un éclatant succès et ne rencontra pas plus d’obstacles dans l’opinion publique que dans le talent de ses rivaux. Il arrivait du reste à un moment propice et sur un terrain bien préparé. Contemporain des philosophes et des poètes qui venaient de se mettre à l’œuvre et de se constituer un peu bruyamment les vengeurs de la nature, il semblait faire cause commune avec eux et contribuer à sa manière au triomphe de leurs doctrines en retraçant des scènes dont la nature seule faisait les frais. Ce n’était pas qu’il la traduisît toujours en interprète scrupuleusement fidèle, mais il ne la déguisait pas du moins sous des mensonges systématiques. Ses exemples eurent en ce sens une influence heureuse sur la marche de la peinture française. Notre école de paysage cessa de puiser aux sources artificielles : elle se retrempa dans l’étude du vrai, et, sauf quelques écarts passagers, elle a suivi depuis lors cette voie de simplicité et de naturel qui l’a conduite de progrès en progrès là où nous la voyons parvenue aujourd’hui.

L’histoire de l’art du paysage en France peut donc se diviser en trois périodes