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sur quelque autre place une statue consacrée à Bayle. Il est vrai que ce serait la France qui la lui devrait, puisqu’il est né dans le comté de Foix ; mais Rotterdam doit bien quelque chose au souvenir de cet illustre proscrit.

Au bout de la ville, au-delà d’une porte sombre qui semble un arc de triomphe des Romains, on rencontre l’embarcadère du chemin de fer d’Amsterdam, qui se dessine dans le goût du gothique anglais au milieu des villas et des jardins. Une heure après, j’arrivais à La Haye en traversant de riantes prairies éclairées du soleil couchant.


III. – LA KERMESSE DE LA HAYE.

De la station de La Have, que les gens du pays appellent S’Gravenhaye, il y a encore un kilomètre de marche pour gagner la ville. La nuit était venue, j’ai suivi une rue très belle, voyant peu à peu étinceler le gaz des boutiques et de plus en plus s’augmenter la splendeur des étalages, jusqu’à la place du Marché. Arrivé là, je ne sais quelle animation extraordinaire, quels sons lointains de violons et de trompettes entremêlés de coups de grosse caisse, me révélèrent l’existence d’un divertissement public. Une petite rue très propre, mais toute bordée de fruitiers, de marchands de tabac, de merciers et de pâtissiers, me conduisit sur la droite à une grande place plus silencieuse, entourée d’hôtels et de cafés. — Plus loin, il n’y avait pas à en douter, des théâtres en plein vent, illuminés de lampions et décorés d’affiches monstrueuses, trahissaient les plaisirs d’une fête foraine. J’entrai dans un café pour prendre des informations, puis, à travers le ramage néerlandais du garçon, je finis par comprendre que j’arrivais en pleine kermesse : — la kermesse de La Haye, qui n’a lieu qu’une fois par an. C’était heureux. — Du reste, pas de journaux français sur les tables, sauf des journaux belges et l’Écho de La Haye, qui n’a qu’une page imprimée des deux côtés. Il paraît que le Journal de La Haye, qui avait pris une certaine importance dans la presse européenne, n’existe plus depuis long-temps ; en revanche, l’Écho annonçait deux théâtres de vaudeville et un théâtre d’opéra français, plus un théâtre allemand et un théâtre flamand, sans compter une foule de cirques et de fantoccini.

Je ne tardai pas à m’engager dans la grande rue formée par les constructions légères de la fête. Le théâtre du Vaudeville jouait les Saltimbanques, celui des Variétés la Dame aux Camélias ; mais est-ce bien la peine d’aller à La Have pour y retrouver Paris ? La foule augmente, et le bruit se continue au-delà d’une porte noire, bariolée d’affiches, qui est une ancienne porte de la ville, et des deux côtés règne une véritable comédie en plein vent, formulée par les dialogues bizarres