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« Où allez-vous ? — En Hollande. — Vous aurez peut-être de la peine à y séjourner. — Je ne le pense pas, je n’y vais que pour voir les fêtes données pour l’inauguration de la statue de Rembrandt. — Oui, dit un employé qui dressa la tête derrière une table voisine, ils disent qu’ils ont une statue, savez-vous ? qui est encore plus belle que la nôtre de Rubens à Anvers. Il faudra voir cela, savez-vous ? — Je le verrai bien, monsieur, » répondis-je. Et j’admirai cette émulation artistique des deux pays, même dans les bureaux de la police.


II. – D’ANVERS A ROTTERDAM.

Je n’étais donc pas destiné à figurer parmi les proscrits internés à Bruxelles ou dans les autres localités. Du reste, on s’aperçoit à peine de la présence d’un si grand nombre de nos compatriotes : on ne les voit ni dans les cafés, ni dans les lieux publics, ni presque dans les théâtres. La société belge n’a pas, comme on sait, de réceptions ou de soirées, et c’est dans les cercles seulement que tous les partis se rencontrent sur un terrain commun. — Êtes-vous libéral ? — Êtes-vous clérical ? — Ce sont les questions à l’ordre du jour. Et les Français n’ont pas mérite à choisir, car ces divisions sont entendues autrement qu’elles le seraient chez nous.

Après tout, l’impression qu’on emporte de Bruxelles est triste. J’ai plus aimé cette ville autrefois ; je me suis trouvé heureux de respirer plus librement, au bout d’une heure, dans la solitude des rues d’Anvers. J’avais encore admiré en passant les aspects charmans du parc anglais de Laëcken ; Malines, plus belle en perspective qu’en réalité ; les bras de l’Escaut miroitant au loin dans leurs berges vertes et les champs de seigle ondoyant, rayés des bandes jaunes du colza en fleur. Le houblon grimpait déjà sur ses hauts treillages, réjouissant l’œil, comme les pampres d’Italie et promettant à ces contrées les faveurs, du Bacchus du nord. Des chevaux et des bœufs erraient en paix çà et là dans les pâturages, dont la lisière est brodée de beaux genêts d’or. — Voici enfin la flèche d’Anvers qui se dessine au-dessus des bouleaux et des ormes, et qui s’annonce de plus près encore avec son carillon monté éternellement sur des airs d’opéra-comique.

J’ai franchi bientôt les remparts, la place de Meer, la Place-Verte, pour gagner la cathédrale et y revoir mes Rubens : je ne trouvai qu’un mur blanc, c’est-à-dire rechampi de cette même peinture à la colle dont la Belgique abuse, — par le sentiment, il est vrai, d’une excessive propreté. « Où sont les Rubens ? dis-je au suisse. — Monsieur, on ne parle pas si haut pendant l’office. » Il y avait un office en effet. « Pardon ! repris je en baissant la voix ; les deux Rubens, qu’en a-t-on fait ? — Ils sont à la restauration, » répondit le suisse avec fierté.